dimanche 9 novembre 2014

Repenser l’Europe ou en sortir !



La France est désormais dans une période de doute sur son avenir dans l’Union européenne. Les français ont l’impression d’être entraînés bon gré mal gré dans une aventure qui ne les mène que vers une perte d’identité sans leur apporter ce que les politiques leur avaient fait miroiter, le rêve d’une Europe sociale et protectrice, qui supporterait mieux la mondialisation et en tirerait profit. Mais aujourd’hui c’est un malaise qui étreint les français, comme les anglais : « To be in, or to be out ! ».

En fait ce que l’on a vendu aux français cachait des réflexions géopolitiques d’une autre ampleur. Traumatisée par « l’étrange défaite » de 1940, éprouvée par la décolonisation, la France cherchait dans la construction européenne un multiplicateur de puissance. Chacun sait que la France est un pays fondateur de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA, 1951) puis de la Communauté économique européenne (CEE, 1957). La construction d’un marché commun s’inscrit bien dans une dynamique de la mondialisation : faciliter les échanges à l’intérieur d’une zone. Une partie des élites y a vu une possibilité de substitution à la voie nationale, jugée dépassée, laissant de côté la recherche d’un rang ou d’une gloire au profit d’une expansion économique. Ces « réalistes » se sont retrouvés dans le projet de la CECA qui permet l’ancrage du nouvel État ouest-allemand (1949) à l’Occident tout en assurant le retour de l’initiative politique à la France. 

La France a fait un pari : transformer l’Europe communautaire en un multiplicateur de puissance, mais les élargissements successifs ont contribué à réduire son poids relatif. Le général de Gaulle lui-même, revenu au pouvoir après l’entrée effective dans la CEE le 1er janvier 1958, fait le pari de la contrôler au profit de la seule France. Il y ajoute même un objectif, faire de la construction européenne non seulement un multiplicateur de la puissance de la France mais un moyen de ligoter l’Allemagne fédérale et de contester les velléités hégémoniques des États-Unis. 

Pourtant, en 1995, un diplomate français qui servit sous le général de Gaulle et ses successeurs, Gabriel Robin, faisait le bilan suivant : « Lentement mais sûrement [l’Allemagne] est parvenue à ses fins. Elle voulait une Europe élargie et libérale, elle l’a obtenue. À chaque étape, elle a su faire coïncider les progrès de l’Europe avec ceux de son émancipation nationale et de son retour sur la scène internationale. Elle n’a jamais rien sacrifié que de façon provisoire et révocable. L’Europe s’est toujours arrêtée au seuil du sanctuaire où elle préservait son intégration atlantique, son Ost-Politik et sa Deutsche-Politik. La France attendait de l’Europe une protection ; elle y a renoncé. L’Allemagne en subissait les contraintes ; elle s’en est libérée. L’une a mieux fait ses affaires que l’autre. Il n’y a pas lieu de lui en vouloir mais il ne sert à rien de l’ignorer. » 

C’est l’unification de l’Allemagne le 3 octobre 1990 et la fin de la Guerre froide en novembre 1990 qui amorce une dynamique délicate, tant en ce qui concerne l’Union économique et monétaire (UEM) que les élargissements. Elle marque un élargissement non-dit de l’Europe des 12 puisque l’ex-RDA intègre de facto l’Europe communautaire, et accessoirement l’OTAN mais c’est une autre histoire. La France voulant contrôler cette puissance majeure en train d’émerger au centre du continent choisit une « fuite en avant » pour le dire de façon claire, un « plus d’Europe ». La France sacrifie sa propre compétence régalienne en matière monétaire et cède successivement aux exigences allemandes quant à la conception de l’euro et de sa mise en œuvre. 

La France sera dès lors sur la reculade. En 1993, peu après la ratification du traité de Maastricht, le siège de la BCE échappe à Lyon pour aller à Francfort. Même le combat, mené par Valéry Giscard d’Estaing pour faire adopter l’Ecu sera perdu. Les Allemands annoncent en 1995 à la table des négociations : « Nous refusons désormais que la monnaie unique s’appelle l’Ecu. Ce sera l’Euro. La discussion est close». Le traité de Nice (2001) devenu effectif avec l’élargissement du 1er mai 2004, change la donne. La nouvelle règle induit donc la perte d’un des deux commissaires pour les cinq États les plus peuplés : l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni. Ceci a pour effet de diminuer le poids de la France dans les décisions communautaires. À travers les élargissements successifs de 2004, 2007 et 2013, le poids politique relatif de la France est passé de plus de 12% à un peu plus de 8%. Autrement dit, la France a perdu à la faveur des élargissements post-guerre froide un quart de son poids politique. 

La France a perdu son pari. Au lieu d’entraîner l’Europe, elle est entraînée par elle et doit accepter que les décisions communautaires soient toujours bonnes pour elle. Depuis l’ouverture du Mur (1989), Paris ni ne  domine ni ne maîtrise l’Allemagne fédérale. Celle-ci boude sur les transactions financières, la relance de la croissance et les prêts à la Grèce mais impose à tous la rigueur budgétaire. L’Union européenne, dont 22 membres sur 28 à la date du 1er juillet 2013 sont membres de l’OTAN, n’est pas devenue un outil pour contester la puissance américaine mais un outil pour la servir et la défense européenne intégrée est passée aux oubliettes. Avec l’élargissement à l’Est, la France a perdu sa position au centre de l’Europe, position récupérée par l’Allemagne qui dicte désormais sa loi sur le plan économique et bancaire. 

Pour conclure je vous livre ceci :
L’ambassadeur Francis Gutmann, ancien Secrétaire Général du Quai d’Orsay, écrit en 2013 sur Diploweb : « L’Europe était un grand rêve et elle a apporté la paix. L’Europe était un grand dessein, elle n’est plus qu’un marché offert à tous les appétits. D’élargissement en élargissement, elle n’a plus de vision. La technocratie lui tient lieu de politique. Elle n’a plus de voix, elle n’a pas de défense, elle n’a plus de croissance. Son ambition désormais est d’exister seulement et non plus d’exister vraiment. L’Europe devait porter la France aux dimensions nouvelles du monde. Aspirant à décider de presque tout, elle est devenue l’alibi commode de trop de ses renoncements. Elle devait l’agrandir, elle l’a émasculée. L’Europe enlisée, une France paralysée, c’est un triste tandem. 

Il n’est jamais trop tard pour reconnaître ses erreurs. 

Une autre Europe des peuples peut encore naître 

Celle de la liberté pour chacun de décider 

De son destin… souverainement ! 

Claude Trouvé 
Coordonnateur MPF du Languedoc-Roussillon

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