mercredi 30 août 2017

Trois faux-nez de la politique française (1ère partie)



Pierre Gattaz a fait son show devant un parterre de onze ministres (excusez du peu) pour mettre Macron devant l’obligation de respecter à la lettre les engagements pris et à ne céder aucune inflexion sur le coût de la main-d’œuvre et la flexibilité du travail. Il a lourdement insisté sur la nécessité de ces deux leviers pour retrouver de la croissance, laquelle va permettre une embellie sur le taux de chômage. D’ailleurs Macron s’est engagé à ramener en 2022 ce dernier aux 7% d’avant 2007. Le coût du travail est donc vanté comme étant une panacée pour relancer la croissance et baisser le chômage. Cette vérité assénée a-t-elle une vérification dans le temps et dans l’espace européen ? Examinons alors la croissance moyenne sur 10 ans de 2007 à 2016 et le coût de main-d’œuvre dans les pays européens.

 
Le graphique ci-dessous montre qu’il n’y a aucune corrélation statistiquement valable entre croissance et coût du travail ! Si l’on admet que la droite statistique tracée a néanmoins une validité, on constaterait que 10% de baisse du coût de la main-d’œuvre française soit 3,56 euros entraînerait au mieux 0,04% de hausse de sa croissance ! On voit que le faible coût de la main-d’œuvre n’a pas empêché la Grèce d’entrer en récession. A contrario la Norvège fait 58% de mieux que la France sur la croissance avec un coût de main-d’œuvre supérieur de 41%. L’Italie a une croissance moyenne négative de -0.55% avec un coût de main-d’œuvre 22% plus faible qu’en France. On ne peut visiblement pas expliquer les 4,2% de croissance moyenne de l’Irlande par le fait que le coût de main-d’œuvre est de moins de 15% inférieur à celui de la France. Sinon que dire de l’Espagne dont la croissance moyenne n’est que de 0,35% au lieu de 0,78% pour la France, soit inférieure de plus de la moitié, avec un coût de main-d’œuvre de 40% inférieur au nôtre ! 

Si l’Allemagne fait mieux que nous avec une croissance moyenne de 1,3% pour un coût de main-d’œuvre inférieur de 7%, la Belgique nous dépasse avec une croissance moyenne de 1,2% malgré un coût de main-d’œuvre supérieur de 10% au nôtre ! Alors de toute évidence le coût de la main-d’œuvre n’est pas le facteur principal sur lequel on peut jouer pour obtenir de la croissance. Il y a bien d’autres raisons à cela dont évidemment la monnaie. Remarquons d’ailleurs au passage que les Etats hors zone euro (Pologne, Roumanie, Bulgarie, République tchèque, Hongrie, Royaume-Uni, Suède, Norvège) réussissent au moins aussi bien sinon beaucoup mieux que nous pour la croissance avec un éventail très large de coûts de main-d’œuvre. Mais peut-on espérer néanmoins faire baisser le chômage, ce qui est le hochet agité pour convaincre le bon peuple de la nécessité d’alléger les charges des entreprises ? Regardons ce que nous dit la comparaison du taux de chômage et du coût de main-d’œuvre en 2016 parmi les pays européens sur le graphique ci-dessous.

 
Aucune tendance statistiquement significative ne se dégage et elle serait même à la limite dans le sens inverse le taux de chômage paraissant baisser avec l’augmentation du coût de main-d’œuvre. On voit qu’il ne faut rien espérer de la baisse du chômage par la diminution du coût de la main-d’œuvre. Les exemples de la Grèce et de l’Espagne sont là pour nous en convaincre. Mais sur ce point la France se singularise par une contre-performance notoire dans le paquet des pays méditerranéens, Grèce, Espagne, Italie et Portugal. C’est le constat que les économies des pays du sud souffrent terriblement d’un manque de performance qui n’a rien à voir avec le coût de la main-d’œuvre. 

Mais ce qui intéresse nos compatriotes c’est aussi de savoir si notre niveau de vie peut se voir amélioré par la baisse du coût de main-d’œuvre. Un bon indicateur de la richesse potentielle de ses habitants est le PIB/habitant. Le graphique du PIB/habitant et du coût de la main-d’œuvre nous réserve une réponse assez décoiffante.

 
La liaison entre les deux paramètres est statistiquement très solide et le PIB/habitant décroit avec la baisse du coût de la main-d’œuvre ! Voilà qui met à bas tout espoir de voir dans la cible du coût de la main-d’œuvre autre chose qu’un avant-goût de dumping social qui ne prend aucunement en compte le niveau de vie des salariés et leur chance d’emploi pour finir en plus par n’avoir pas d’impact sur la croissance. Si l’on enlève les deux pays qui sortent de la règle normale d’évolution du PIB/habitant en fonction du coût de main-d’œuvre, à savoir le Luxembourg et l’Irlande qui sont visiblement des cas particuliers, on a le graphique ci-dessous :

On voit combien le lien est strict. Le PIB/habitant suit une loi linéaire de variation croissante en fonction du coût de main-d’œuvre qui nous indique que 3,56 euros de baisse du coût de main-d’œuvre français soit 10% entraîne une perte de plus de 6,5% du PIB/habitant. Il serait ramené à une valeur inférieure à la moyenne de l’UE alors qu’il est déjà inférieur à celui de la zone euro. On note de plus que la France est très en-dessous de ce que devrait être son PIB/habitant théorique soit 118 au lieu de 105 alors que l’Allemagne avec 123 fait beaucoup mieux que les 114 correspondant à son coût de main-d’œuvre. Ainsi non seulement la France est moins compétitive que la moyenne de la zone euro, est affublée de plus d’un taux de chômage très au-dessus de la plupart des pays du nord et de l’est, mais elle redistribue moins bien son PIB sur ses habitants que 90% des pays européens. Elle détient la lanterne rouge devant la Bulgarie, la Croatie et la Grèce… triste record. 

La réduction du coût de la main-d’œuvre par des actions directes de l’État ne peut donc en rien améliorer notre situation, pas plus que l’augmentation des heures travaillées qui était proposée par Fillon comme je l’ai démontré dans un article précédent. Il s’agit d’un leurre que cache un faux-nez du Medef toujours prêt à utiliser le dumping social. En effet la baisse du coût du travail se répercute sur les marges des entreprises mais sans nourrir la croissance. Par contre il diminue le niveau de vie global et du coup la consommation intérieure, tout en n’ayant aucun impact sensible sur le chômage. De toute évidence les pays du sud sont handicapés et on peut cibler la monnaie euro comme cause première, ce qui n’oblitère pas la nécessité de réformes structurelles profondes. Il reste à examiner l’action de l’État sur l’impôt des sociétés qui donne de bons résultats par exemple en Irlande dans le prochain article.
 
Le chiffon rouge agité du coût de la main-d’œuvre 

Est un faux nez du Medef et un leurre de l’État.

Croissance et chômage y sont indifférents. 

Une baisse de ce coût entrainerait celle

Du PIB/habitant et du niveau de vie.

Claude Trouvé 
Coordonnateur MPF du Languedoc-Roussillon