On aurait tort de quitter l’aspect militaire des
principaux pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) sans
parler de la puissance militaire chinoise et indienne. Forte de 318 milliers
d’hommes aptes au combat, la Chine, puissance nucléaire, ne compte pas que sur
le nombre de ses soldats. D’après le Pentagone l’Armée populaire de libération
(APL) a renforcé non seulement son armée terrestre mais aussi ses capacités
navales aériennes et spatiales dans la mesure où elles pourraient « déprécier le fondement de l’avance
opérationnelle et technologique américaine ».
Sans aucun doute la
Chine a modifié l’équilibre du pouvoir dans le Pacifique. La présence
américaine doit faire face à une force redoutable dont l’objectif de contrôle
de la mer de Chine et de ses îles est visible. Les autorités chinoises
admettent maintenant que Pékin a militarisé les îles Spratly et d’autres
hauts-fonds importants de la mer de Chine méridionale, y déployant des missiles,
exacerbant les tensions et mettant les eaux entre les Philippines et le Vietnam
à sa portée. Elle déploie une stratégie de « contre-intervention » pour repousser ses adversaires, nombre de ses
armes sont presque impossibles à détecter et à intercepter, menaçant les
meilleurs navires des États-Unis. A ce propos notre présence confirmée en
Nouvelle-Calédonie est d’une grande importance stratégique, car ces îles
intéressent ce grand pays au même titre que l’Australie.
La montée de la puissance chinoise a
été très rapide et date de cinq ans depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. Pékin
a maintenant son tout premier porte-avions fabriqué en Chine, qui a pris la mer
en avril, tandis qu’un autre est en construction à Shanghai. Les groupements
tactiques chinois de navires de guerre, d’avions de combat et de bombardiers
font régulièrement le tour de Taïwan. La marine chinoise a construit plus de
100 navires de guerre et sous-marins au cours de la dernière décennie. L’année
dernière, elle a lancé une nouvelle catégorie de « super destroyers »,
tout en contrôlant les dépenses militaires grâce à son économie en plein essor.
La Chine investit dans le spatial et les technologies de pointe en particulier
dans le domaine aérien et dans les missiles nucléaires. Sa réussite économique
lui permet de se projeter sur le continent africain en y investissant
massivement dans les infrastructures et d’étendre son influence politique et
militaire comme la Russie. Elle est, derrière la Russie, le plus grand
fournisseur d’armes. Elle veut d’ailleurs faire de Djibouti une base militaire
et économique en l’incluant dans son projet de la route maritime de la soie.
Mais le plus impressionnant reste l’accord stratégique de plus en plus fort
avec la Russie qui se concrétise par des manœuvres conjointes après des années
de guerre froide entre les deux pays.
A ces deux colosses militaires, il
faut adjoindre l’Inde qui consacre un gros budget militaire à la modernisation
de son armée, en particulier pour la remise à niveau de son armée de l’air.
Après la commande de seulement 36 Rafale à la France, l’Inde relance un appel
d’offres pour 110 avions supplémentaires. Son armée fait face potentiellement à
deux menaces, la Chine et le Pakistan. Toutefois l’Inde prend de plus en plus
de place dans les BRICS et est en liaison économique avec la Russie. On peut
donc penser que des liens stratégiques plus étroits entre les trois puissances,
Russie, Chine, et Inde vont voir le jour dans une opposition au bloc occidental
aux mains américaines. Inutile de rappeler que l’Inde dispose de la force
nucléaire et que ces trois puissances ne sont domptables que dans la mesure où
elles ne coopèrent pas. Or les conflits historiques s’estompent devant des
intérêts économiques que la géographie et le partage des ressources sont entrain
de pousser ces trois grandes puissances à s’entendre aussi stratégiquement.
La rébellion contre l’hégémonie
américaine et le changement stratégique qu’impose Donald Trump modifient
profondément la géopolitique du monde. Si l’on regarde le point de vue
américain, on constate que les Etats-Unis réalisent qu’il n’y a plus adéquation
parfaite entre les dépenses militaires et leur besoin de domination. Leur
réussite économique était liée à des actions militaires de déstabilisation des
pays rebelles et d’implantation de base militaires tout autour du bloc
russo-chinois avec l’appui du Japon, de la Corée du Sud et des Philippines.
Trump a compris que l’urgence était la relance de l’économie américaine et
qu’elle devait être à terme l’instrument essentiel d’une domination défensive
d’abord. Sur le plan stratégique il faut être partout mais à moindre frais. Il
en est ainsi du glacis de l’Europe face à la Russie et de sa zone commerciale
de premier ordre. En cas de conflit avec ce pays, celui-ci se jouera d’abord
sur ce glacis laissant les Etats-Unis hors de portée d’une attaque massive.
Au Moyen-Orient, domaine
d’enrichissement des grandes sociétés pétrolières américains et des ressources
à mettre hors de portée des grands consommateurs comme la Chine, la relation
avec Israël doit être confortée aux yeux du monde, d’où le transfert de
l’ambassade américaine à Jérusalem. Par ailleurs cela conforte la position de
Trump vis-vis des banquiers judéo-américains inquiets qui financent les
guerres. La présence américaine doit être renforcée en Afrique pour couper la
route au couple russo-chinois qui prend de plus en plus d’options sur les
richesses de ce continent géographiquement lié à l’Eurasie. Si Trump peut faire
des démonstrations de force en Europe pour conforter ces pays dans leur choix du
parapluie américain, cela n'impressionne guère la Russie qui ne bougera que si
la Biélorussie est menacée et que l’Ukraine devienne agressive poussée par
l’OTAN. Il n’en est pas de même du côté de l’Iran et de la mer de Chine. Si les
Etats-Unis ont un certain contrôle sur le pétrole du Moyen-Orient avec le
rapprochement entre l’Arabie Saoudite et Israël, il n’en est pas de même sur
les grandes ressources pétrolières de l’Iran.
Dans une stratégie de privation de
ressources naturelles l’ennemi principal, c’est-à-dire, finalement la Chine, il
faut empêcher celle-ci de se procurer du pétrole, donc mettre l’Iran au pas,
l’affaiblir économiquement selon la stratégie des sanctions appliquée sans
réussite tangible sur la Russie, mais efficace sur le Venezuela. Plus loin le
pion Corée du Sud doit être utilisé pour un rapprochement entre les deux Corée,
où la Corée du Nord est affaiblie économiquement et a un urgent besoin de
rentrer dans l’économie de marché. L’équilibre militaire des forces entre les
deux Corée permet d’envisager la réunion économique de ces deux pays, ce qui
aura pour effet d’éloigner la Corée du Nord de son voisin et sponsor chinois.
Tout au moins c’est ce qu’espère Trump après cet épisode de comédie à risque
qu’il a joué avec succès. Tout cela montre que les Etats-Unis peuvent bander
leurs muscles avec une Russie qui ne bougera pas tant que ses intérêts vitaux
ne seront pas menacés et Poutine a clairement énoncé le tracé de la ligne
rouge. En effet l’OTAN garantit des alliances européennes et un glacis
économique et militaire qui est d’une part à exploiter comme débouché des produits
américains, dont le gaz de schiste, et d’autre part non seulement un blocage de
toute tentative d’annexion russe mais aussi une possibilité d’extension UE-OTAN
vers l’Est. Même si les sanctions contre la Russie ne produisent pas l’effet escompté,
cela maintient l’Europe dans le giron américain face à un ennemi désigné comme
le plus dangereux pour elle.
Mais la vraie partie géopolitique, où l’hégémonie
américaine est menacée, se joue ailleurs géographiquement, du côté de l’océan Indien
et de la mer de Chine. Dans la guerre économique, telle que la conçoit Donald Trump,
la cible finale c’est la Chine. Toutefois les liens économiques des Etats-Unis avec la Chine
forcent ceux-ci à une stratégie d’attente, d’escarmouches en mer de Chine et de
droits de douane. Car c’est avec ce pays et le trio Chine-Russie-Inde que se
joue le choc de deux conceptions du Nouveau Monde. C’est ce dont parlera le
prochain article pour terminer un éclairage sur les profondes modifications des
équilibres du monde où l’Europe et la France sont aux abonnés absents.
Alain Pierrefitte écrivait « Le jour où la Chine s’éveillera »
De Gaulle fut le premier à rencontrer Mao Tsé-Toung
Depuis la France a perdu le sens de l’histoire.
Les Etats-Unis s’accrochent à l’économie
Pour sauver la puissance du dollar.
Mais dans les Routes de la soie
Naît l’avenir du monde !
Claude Trouvé
06/11/18
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