samedi 10 mars 2012

La Libye n’existe plus…

Le 6 mars 2012 l'assemblée des tribus de Cyrénaïque a déclaré son autonomie et a reconnu comme chef Ahmed Zubaïr al-Sanussi, parent du roi Idriss I° renversé en 1969 par le colonel Kadhafi, et membre éminent de la famille-confrérie sénoussiste qui régnait sur la région à l'époque ottomane. Après avoir fait de notre guerre en Libye, soutenue par la gauche et la droite, un fleuron de notre défense de la démocratie dans le monde, le silence actuel des politiques et des médias montre à quel point nous sommes dans un pays de la désinformation. Notre classement mondial en « démocratie imparfaite » prend tout son sens.

Tout avait pourtant bien commencé dans l’euphorie économique. Sarkozy n’avait pas ménagé ses compliments au Guide de la Révolution lors de sa visite à Paris en décembre 2007. « Il faut savoir encourager ceux qui tournent le dos au terrorisme » disait-il. Pour  10 milliards d’euros le marché comportait 14 Rafales, 35 hélicoptères Tigre Cougar et Fennec, 6 navires, des blindés, des radars de défense anti-aérienne, la remise en état de 17 Mirages F-1 et même un réacteur nucléaire. Les contrats devaient être signés à la mi-mai 2008. On n’oubliera pas les phrases du président sur ce « pionnier à travers le monde pour combattre le terrorisme international », celui qui n’a pas ménagé sa peine pour «  ramener la paix entre les Africains en conflit ! (sic) ». La Libye est un pays où « le chômage n’existe pas », où « les études sont gratuites » et les soins médicaux « à la portée de tous »… un homme providentiel en somme !

Le monde économique, par la voix de Dominique Strauss Khan, décernait des lauriers à la Libye qui devenait l’un des pays les plus puissants d’Afrique et en voie de développement rapide. Dans son édition du mercredi 9 mars 2011, Le Canard enchaîné relate l’existence d’un rapport positif du Fonds économique international (FMI) sur la situation économique de la Libye, publié le 15 février sur le site de l’institution, six jours après le début des émeutes à Benghazi

Un document «bourré comme il se doit de données chiffrées et de statistiques» mais surtout «surréaliste», selon l’hebdomadaire satirique, puisqu’il «ne cesse de féliciter le colonel Kadhafi et son gouvernement pour la qualité de leur gestion budgétaire et pour les réformes déjà entreprises», notamment grâce à la manne issue de la hausse des cours du pétrole. Il ne profère à l’adresse du régime qu’un seul conseil («favoriser l’emploi des jeunes») et un seul reproche («ne pas privatiser assez vite les banques et le marché local des capitaux»).

Mais c’est sur un air de libération des peuples opprimés que notre pays s’est engagé avec l’OTAN et sous les conditions de non-intervention au sol de l’ONU. L’OTAN étant aux mains des américains et l’ONU dans celles des Etats-Unis et de l’OCDI, la décision était purement américaine mais ceux-ci ne voulaient pas s’engager totalement sur un nouveau théâtre d’opération. La Chine et la Russie ne disposaient que de leur vote de blocage au Conseil de Sécurité. Ils ont hésité à l’utiliser, car la Libye ne semblait pas une priorité pour la Russie et la Chine mène un politique africaine d’expansion discrète sur les réserves minières et énergétiques africaines. Ces deux pays, qui ont compris leur erreur, s’opposent désormais à une intervention militaire en Syrie.

Il est devenu bien clair que l’intervention armée n’avait pas pour but la démocratie mais le pétrole dont Kadhafi avait fait sa force et tenait la dragée haute aux compagnies pétrolières. Par ailleurs la Chine pointait son nez en Libye, ce qui était insupportable pour la stratégie américaine visant à lui rendre difficiles les approvisionnements nécessaires à sa croissance rapide. Sarkozy, de son côté, tenait rigueur à Kadhafi, de l’avoir ridiculisé lors de son invitation à Paris par ses exigences bédouines et d’avoir finalement refusé d’acheter les Rafales, alors invendables. Il a donc tenu à être le premier sur le terrain des opérations à la grande joie des américains qui n’en espéraient pas tant.

Pour tous ceux qui connaissent bien cette région du monde, ce qui est le cas d’un ancien ambassadeur de nos amis qui y a séjourné, l’intervention militaire ne pouvait faire que des dégâts dans une situation explosive où la main de fer de Kadhafi avait étouffé toutes les velléités d’éclatement du pays entre les différentes ethnies et variantes de l’Islam. Sarkozy a préféré écouter le chantre Bernard-Henri Lévy qui n’avait aucun poste officiel pour suivre les Etats-Unis et calmer son ire personnelle. Il a entraîné le Parlement dans une envolée démocratique dans un pays pour qui la démocratie à l’occidentale ne se résume encore qu’à une mode passagère.

En Libye, c'est donc à un retour à la longue histoire que nous assistons et au découpage traditionnel de ce pays. On retrouve là le schéma bien connu de la Yougoslavie et même de l’URSS. Nous avons de nouveau créé une zone de turbulence, la renaissance de guerres religieuses entre les différentes tendances de l’Islam, dispersé un nombre considérable d’armes de guerre tombées aux mains des mercenaires, des terroristes, chassé des noirs dans leur pays, détruit une partie du pays, etc. Notre seul profit immédiat c’est Total pour le pétrole, Bouygues et d’autres pour la reconstruction du pays, mais la démocratie n’est pas pour demain. Au contraire l’ouverture de Kadhafi sur une pratique musulmane adoucie va se refermer.

La sale mort de Kadhafi, après que nous ayons largement dépassé les limites de notre action autorisée par l’ONU avec des forces spéciales actives sur place, laisse un sentiment de guerre inutile et impérialiste. Nous avons dû autoriser la poursuite de cette guerre, plus difficile que prévu, car l’arrêter en cours aurait été catastrophique pour notre image. Néanmoins elle se trouve écornée et la couverture de la démocratie a explosé dans des milliers de pertes humaines, la destruction des villes et la partition ancestrale du pays.

Le temps n’est plus aux croisades !

Nous ferions mieux d'améliorer notre propre démocratie,

Notre langue et notre identité nationale,

Au lieu d’aller remplacer chez d'autres par la force

Une oppression par une autre !

Claude Trouvé