mardi 13 novembre 2018

Catastrophisme martelé et paralysie de la décision



La course au sensationnel et l’utilisation de la peur comme moyen d’action sur le psychisme des populations remplit toutes les sources d’information qui s’abattent sur nous. Il n’est pas de jour où l’on ne soulève pas une raison de s’inquiéter, et cela va bien au-delà de la réflexion individuelle sur les dangers quotidiens que la vie nous impose d’affronter. La peur nous est inculquée par un système d’abrutissement général où notre cerveau est saisi de paralysie devant l’énormité des dangers qui nous menacent. Toutes les générations encore en activité et se préparant à l’être sont particulièrement affectées et un sentiment d’impuissance y grandit et se répand. Une récente conversation avec un de ses représentants, intelligent et informé, en est un excellent révélateur. Alors que la conversation allait bon train sur le devenir de notre pays, elle s’est brusquement interrompue par une phrase finalement terrible disant à peu près ceci : « Tu es de l’ancien monde, et moi je ne m’intéresse plus à ces sujets parce que la planète est foutue… ». Il s’en est suivi l’énumération bien connue de l’épuisement des ressources, la disparition des vertébrés, le catastrophisme de la démographie galopante, sans oublier la pollution et le réchauffement climatique promettant simultanément une rôtissoire et un engloutissement marin.

Les médias manient un catastrophisme généralisé avec une telle densité qu’un esprit normalement constitué arrive rapidement dans un état de saturation qui finit par bloquer ou retarder la prise de décision. Si l’on vous répète qu’un danger vous menace en sortant dans la rue, vous finissez par ne plus sortir de chez vous sans d’une part vous poser la question sur la réalité du danger et d’autre part sur la probabilité d’occurrence d’exister. Le réchauffement climatique considéré par l’ensemble des médias comme une certitude, et soumis à un battage intensif par l‘exploitation de tous les écarts météorologiques, a finalement du mal à mobiliser l’ensemble des français saturés d’informations catastrophiques. On peut plébisciter l’arrivée de Hulot au gouvernement mais on rechigne à changer ses habitudes de consommation, en particulier de gasoil.

Ensuite, les conséquences du désastre annoncé paraissent à certains situées dans un futur lointain et un peu irréel, de sorte que les coûts imaginés sont soumis à ce que Paul Samuelson appelait la dépréciation temporelle de la valeur. La valeur d’une dette, expliquait cet économiste américain, a tendance à s’amenuiser psychologiquement à mesure qu’elle doit être honorée dans un lointain futur. Enfin, la part de ce que chacun peut faire paraît marginale en termes de bénéfices escomptés par rapport aux efforts qui sont demandés. D’autant que les premiers effets catastrophiques annoncés de ce réchauffement se situraient dans des contrées exotiques, et l’on sait que notre compassion est affectée par les kilomètres qui nous séparent du lieu du drame. Cette propagande incessante pour une mobilisation permanente et forte sur des phénomènes de dimension spatiale finit par en décourager beaucoup devant la disproportion des efforts à fournir par rapport aux résultats visibles. Il s’y adjoint le constat que la nature s’avère toujours plus forte que l’homme dont les efforts paraissent dérisoires.
Mais entre toutes les raisons que l’on a pu invoquer, il en est une qui me paraît fondamentale lorsqu’on s’interroge sur la paralysie de l’action : celle d’avoir trop de choix. En effet, le marché cognitif est saturé par l’exhibition du risque (fondé ou infondé) : les ondes, le nucléaire, le glyphosate, le gluten, le lactose, les OGM, les perturbateurs endocriniens… Aujourd’hui c’est Lactalis, les enfants sans bras et les incendies en Californie qui nous apportent leur lot de peurs. Demain ce sera la biochimie, la génétique, le transhumanisme, la robotique… Les rayonnages du supermarché de la peur sont si bien fournis qu’ils peuvent conduire tout à la fois à retenir notre attention en permanence et à suspendre peu à peu notre capacité d’action.

Toute action de notre part finit par s’avérer potentiellement dangereuse. L’accident nucléaire est devenu d’une probabilité telle que nous voulons tuer notre veau d’or sur l’autel sacrificiel de la peur alors que notre pays est le plus nucléarisé du monde depuis ½ siècle sans accident. Manger de la viande devient coupable alors que l’homme est omnivore par construction , ne pas manger bio nous place dans les tueurs de la planète alors que la famine n’est pas totalement maîtrisée, rouler au gasoil devient un délit de bonne conduite alors que son rendement énergétique est supérieur à celui de l’essence, acheter sans regarder la composition exacte du produit est une erreur funeste alors que l’on va se soumettre au vaccin antigrippe sans aucune indication sur les substances qu’il contient.

Pour que le cerveau humain puisse prendre une décision et ne soit pas frappé par ce que le psychologue américain Roy Baumeister nomme l’épuisement de l’ego, il lui faut percevoir un ordre de priorité. Or la mise en scène permanente des risques ne contribue pas à l’établissement d’une hiérarchie rationnelle. Nous sommes constamment sollicités par la mise en scène du risque qui veut nous convaincre que nous vivons dans un environnement empoisonné. Pour avoir vécu dans une activité à haut risque potentiel, j’ai appris à évaluer le risque et à le maîtriser pour en rendre la probabilité humainement acceptable par rapport aux autres risques anthropiques ou environnementaux. Ce matraquage permanent des esprits obscurcit le réflexe d’évaluation personnelle du risque, et celui de défense, inhérent à tout être vivant.

Ce petit livre rouge des peurs façonne un individu statique dans son évolution, consommateur coupable, impulsif, et hautement manipulable. Les dogmes ont alors porte ouverte dans les esprits et dans leur sillage tous les prédateurs du travail et des ressources humaines. Persuadé de la vérité du dogme, l‘individu ne cherchera, ne lira ou n’écoutera que ce qui conforte son opinion rendant chaque jour la tâche plus facile au manipulateur de sa peur. Que les croyants me pardonnent, mais ceci est bien connu des religions. La peur de l’enfer était le crédo de l’Eglise catholique qui terrifiait les habitants du Moyen-Age. La culpabilisation de l’homme dans le réchauffement climatique procède de la même démarche. Mais il en est de même avec d’autres peurs issues des progrès technologiques ou scientifiques. Le progrès devient suspect, c’est le cas des pesticides où le discours scientifique est occulté au profit d’appréhensions téléguidées. Or la qualité et la non-nocivité de ces produits ne cessent de s’améliorer, à tel point que c’était hier qu’il fallait plus s’inquiéter qu’aujourd’hui. La peur raisonnée qui devrait booster le progrès, se transforme en polémiques où l’on ne donne plus place au véritable débat scientifique. Médias et politiques décident non pour le bien du peuple mais pour des intérêts financiers.

Quand le catastrophisme devient manipulation

Quand il rend difficile la prise de décision

Quand il guide vers une pensée unique

L’homme devient un consommateur

Statique, aveugle et manipulable !
Claude Trouvé
13/11/18