La France est désormais dans une
période de doute sur son avenir dans l’Union européenne. Les français ont
l’impression d’être entraînés bon gré mal gré dans une aventure qui ne les mène
que vers une perte d’identité sans leur apporter ce que les politiques leur
avaient fait miroiter, le rêve d’une Europe sociale et protectrice, qui
supporterait mieux la mondialisation et en tirerait profit. Mais aujourd’hui
c’est un malaise qui étreint les français, comme les anglais : « To be in, or to be out ! ».
En fait ce que l’on a vendu aux
français cachait des réflexions géopolitiques d’une autre ampleur. Traumatisée
par « l’étrange défaite » de 1940, éprouvée par la décolonisation, la
France cherchait dans la construction européenne un multiplicateur de
puissance. Chacun sait que la France est un pays fondateur de la Communauté
européenne du charbon et de l’acier (CECA, 1951) puis de la Communauté
économique européenne (CEE, 1957). La construction d’un marché commun s’inscrit
bien dans une dynamique de la mondialisation : faciliter les
échanges à l’intérieur d’une zone. Une partie des élites y a vu une possibilité
de substitution à la voie nationale, jugée dépassée, laissant de côté la
recherche d’un rang ou d’une gloire au profit d’une expansion économique. Ces
« réalistes » se sont retrouvés dans le projet de la CECA qui permet
l’ancrage du nouvel État ouest-allemand (1949) à l’Occident tout en assurant
le retour de l’initiative politique à la France.
La France a
fait un pari : transformer l’Europe communautaire en un multiplicateur de
puissance, mais les élargissements successifs ont contribué à réduire son poids
relatif. Le général de Gaulle lui-même, revenu au pouvoir après l’entrée
effective dans la CEE le 1er janvier 1958, fait le pari de la contrôler au
profit de la seule France. Il y ajoute même un objectif, faire de la
construction européenne non seulement un multiplicateur de la puissance de
la France mais un moyen de ligoter l’Allemagne fédérale et de contester
les velléités hégémoniques des États-Unis.
Pourtant, en 1995, un diplomate
français qui servit sous le général de Gaulle et ses successeurs, Gabriel
Robin, faisait le bilan suivant : « Lentement mais sûrement [l’Allemagne] est parvenue à ses fins. Elle
voulait une Europe élargie et libérale, elle l’a obtenue. À chaque étape, elle
a su faire coïncider les progrès de l’Europe avec ceux de son émancipation
nationale et de son retour sur la scène internationale. Elle n’a jamais rien
sacrifié que de façon provisoire et révocable. L’Europe s’est toujours arrêtée
au seuil du sanctuaire où elle préservait son intégration atlantique, son Ost-Politik et sa Deutsche-Politik. La France attendait
de l’Europe une protection ; elle y a renoncé. L’Allemagne en subissait
les contraintes ; elle s’en est libérée. L’une a mieux fait ses affaires
que l’autre. Il n’y a pas lieu de lui en vouloir mais il ne sert à rien de
l’ignorer. »
C’est l’unification de l’Allemagne le
3 octobre 1990 et la fin de la Guerre froide en novembre 1990 qui amorce une
dynamique délicate, tant en ce qui concerne l’Union économique et monétaire
(UEM) que les élargissements. Elle marque un élargissement non-dit de
l’Europe des 12 puisque l’ex-RDA intègre de facto l’Europe communautaire, et
accessoirement l’OTAN mais c’est une autre histoire. La France voulant
contrôler cette puissance majeure en train d’émerger au centre du continent
choisit une « fuite en avant » pour le dire de façon claire, un
« plus d’Europe ». La France sacrifie sa propre compétence régalienne
en matière monétaire et cède successivement aux exigences allemandes quant à la
conception de l’euro et de sa mise en œuvre.
La France sera dès lors sur la
reculade. En 1993, peu après la ratification du traité de Maastricht, le siège
de la BCE échappe à Lyon pour aller à Francfort. Même le combat, mené par
Valéry Giscard d’Estaing pour faire adopter l’Ecu sera perdu. Les Allemands
annoncent en 1995 à la table des négociations : « Nous refusons
désormais que la monnaie unique s’appelle l’Ecu. Ce sera l’Euro. La
discussion est close». Le traité de Nice (2001) devenu effectif avec
l’élargissement du 1er mai 2004, change la donne. La nouvelle règle induit donc
la perte d’un des deux commissaires pour les cinq États les plus peuplés :
l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni. Ceci a pour
effet de diminuer le poids de la France dans les décisions communautaires. À
travers les élargissements successifs de 2004, 2007 et 2013, le poids politique
relatif de la France est passé de plus de 12% à un peu plus de 8%. Autrement
dit, la France a perdu à la faveur des élargissements post-guerre froide un
quart de son poids politique.
La France a perdu son pari. Au lieu
d’entraîner l’Europe, elle est entraînée par elle et doit accepter que les
décisions communautaires soient toujours bonnes pour elle. Depuis l’ouverture
du Mur (1989), Paris ni ne domine ni ne
maîtrise l’Allemagne fédérale. Celle-ci boude sur les transactions financières, la relance de la croissance et les prêts à la Grèce mais impose à tous la rigueur budgétaire. L’Union européenne, dont 22 membres sur 28 à la
date du 1er juillet 2013 sont membres de l’OTAN, n’est pas devenue un outil
pour contester la puissance américaine mais un outil pour la servir et la
défense européenne intégrée est passée aux oubliettes. Avec l’élargissement à
l’Est, la France a perdu sa position au centre de l’Europe, position récupérée
par l’Allemagne qui dicte désormais sa loi sur le plan économique et bancaire.
Pour conclure je vous livre
ceci :
L’ambassadeur Francis Gutmann, ancien
Secrétaire Général du Quai d’Orsay, écrit en 2013 sur Diploweb : « L’Europe était un grand rêve et elle a
apporté la paix. L’Europe était un grand dessein, elle n’est plus qu’un marché
offert à tous les appétits. D’élargissement en élargissement, elle n’a plus de
vision. La technocratie lui tient lieu de politique. Elle n’a plus de voix,
elle n’a pas de défense, elle n’a plus de croissance. Son ambition désormais
est d’exister seulement et non plus d’exister vraiment. L’Europe devait porter
la France aux dimensions nouvelles du monde. Aspirant à décider de presque
tout, elle est devenue l’alibi commode de trop de ses renoncements. Elle devait
l’agrandir, elle l’a émasculée. L’Europe enlisée, une France
paralysée, c’est un triste tandem.
Il n’est jamais trop tard pour reconnaître ses erreurs.
Une autre Europe des peuples peut encore naître
Celle de la liberté pour chacun de décider
De son destin… souverainement !
Claude Trouvé
Coordonnateur MPF du
Languedoc-Roussillon
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