Les
généraux Soubelet, Piquemal ou Desportes ont payé leur courage de parler. C’est
une crise qui révèle la perte de légitimité de l'État et sa déconnexion du réel
alors que le pouvoir politique déclare la France en guerre. Les généraux
peuvent aussi être des lanceurs d’alerte. Lorsqu’ils parlent, ils le font en
sachant ce qu’ils encourent. Le pouvoir politique ne devrait pas les museler en
particulier dans une telle période mais argumenter auprès du public sur le
bien-fondé ou non de ses décisions politiques. Le peuple sait bien qu’en matière
de sécurité la dernière décision revient au Chef de l’Etat. Est-ce faire son
devoir en conscience que de se contenter d’esquiver, d’éluder, de mentir pour
rester dans le rang. Est-ce faire son devoir en conscience que de serrer les
rangs même, autour de l'irresponsabilité du politique qui supporte mal de voir
démasquer ses renoncements et la triple crise de l'autorité, de la
responsabilité et de la souveraineté qui s'installe en France et en Europe.
Le
déficit d'autorité se mue en autoritarisme éruptif quand on veut faire taire, es
qualités, un officier général qui révèle le pot aux roses devant la
représentation nationale. On l'accuse de transgresser son « devoir de réserve ». On veut que toutes
les structures de pouvoir ou d'action en surplomb du peuple se liguent pour
l'entretenir dans une douce torpeur. Notre pays se meurt et nos élites
administratives et politiques veulent rester dans l'éther confortable du déni
de réalité et se congratuler sans vergogne. Asinus asinum fricat. Et nos forces
armées, par essence et vocation au-dessus de l'esprit partisan, devraient
suivre cette pente délétère pour éviter les foudres d'un politique déconsidéré
?
Faire
son devoir, au risque d'être tancé ou « limogé », ou bien se taire : voilà donc
le dilemme auquel sont de plus en plus confrontés ceux qui, par leurs fonctions
ou leur place dans l'appareil administratif ou sécuritaire, connaissent la
gravité de la situation et ne s'y résolvent pas. Ceux, de tous bords
politiques, qui prennent la mesure de la haine, du communautarisme triomphant,
de la violence sociale, comme d'ailleurs de la gabegie administrative ou de
l'incurie financière, qui s'abattent sur un corps national abîmé et sciemment divisé.
Ces « lanceurs d'alerte » internes, ces « derniers des Mohicans » doivent-ils garder le silence au nom de « la grande muette » et de leur
subordination organique au pouvoir politique ? J’ai déjà dit que les français
devraient prêter plus d’attention aux lanceurs d’alerte qu’aux politiques qui
enfument, mentent au peuple et bafouent la démocratie en permanence. Le peuple doit rester ignorant, il est plus manipulable,
la vérité du monde et de ses menaces ne doit pas être révélée. Le pouvoir
politique s’est arrogé le droit de jouer des menaces en les grossissant ou en
les masquant à sa guise en oubliant que le bon sens du peuple s’allie désormais
à des capacités de comprendre plus répandues en son sein qu’autrefois.
Une
telle automutilation de la parole militaire, sans doute appropriée après le
putsch d'Alger, est devenue anachronique. Il est grand temps de redéfinir
clairement la place des militaires dans notre société démocratique et dans le
débat public. L'officier, le soldat, est aussi un citoyen. Sa parole n'est ni
suspecte ni malsaine. Elle est utile et précieuse. Il peut se tromper, certes,
sur ses diagnostics, mais son sens du service public, son intégrité morale, sa
profonde humanité, son discernement et son pragmatisme en font un
observateur-acteur unique des dérives ou failles de notre société. Les généraux
Soubelet, Piquemal, Desportes, le colonel Goya et quelques autres, en des
circonstances diverses, ont payé leur courage, celui d'oser appeler un chat un
chat. Ils parlent en conscience, forts de l'autorité morale, de la compétence
professionnelle et de l'expérience opérationnelle attachées à leurs vies
dédiées au service de la France. Ils interpellent le politique sur le sens de
son mandat, la cohérence de ses décisions, l'hypocrisie ou l'inconséquence de
certaines d'entre elles. Le pouvoir politique n’est pas aux ordres du pouvoir
militaire mais il a le devoir d’en tenir le plus grand compte quand celui-ci ne
s’oppose pas aux représentants de l’État mais se comporte en lanceur d’alertes
si la gravité d’une situation l’exige à ses yeux. Je laisse la plume au Général
de Gendarmerie(2S) à la retraite Jean-Louis Drevon :
« Faire son devoir ou bien se taire. Devoir de réserve, devoir de vérité.
Le 26 Juillet 2016, au matin, en s'attaquant à une église, lieu
inviolable et sacré pour les catholiques mais également pour tous les Français
car c'est un havre de paix et de méditation, puis en égorgeant un prêtre de 84
ans qui célébrait la messe, les tueurs de Daech, après le massacre perpétré à
Nice, ont franchi un nouveau degré dans la barbarie. Mais ils ont aussi
démontré combien la sécurité des Français présentait de fragilité puisque l'un
des auteurs de ce crime abject, libéré en mars dernier malgré l'opposition du
parquet antiterroriste, était porteur d'un bracelet électronique censé permettre
sa surveillance à distance.
Cette évolution, annoncée par les réseaux
contrôlés par le Califa, était prévisible. Dès la fin du siècle dernier, après
les attentats de Paris de 1995, nombre d'écrits ont tenté d'alerter les
responsables politiques et la population sur la réalité de la menace islamiste
et sur les mesures à prendre . Or, lorsque ces mises en garde émanaient de
militaires ou de hauts fonctionnaires, on s' empressait de les faire taire en
invoquant le fameux devoir de réserve au lieu de leur reconnaître un devoir de
vérité pour ménager des susceptibilités. Un beau et vaste sujet de concours que
ce rapport entre deux obligations ! La polémique soulevée par l'audition du
général Soubelet devant la représentation nationale, suivie de la parution de
son livre polémique au demeurant fort limitée à l'Institution, au monde
politique et aux médias mais hélas sans écho réel dans la population, pose de
nouveau la question du devoir de réserve auquel sont notamment astreints les
militaires. En ce début du XXI° siècl , dans notre monde de plus en plus
connecté, où chacun peut être tracé ou localisé, où les réseaux sociaux ont un
énorme et dangereux pouvoir de mobilisation et de désinformation, où l'on
envisage de protéger les « lanceurs d'alerte » qui révèlent au grand jour les
pires turpitudes, un responsable au fait des réalités concrètes devrait-il être
contraint au silence ou à la complaisance alors que la situation a atteint un
niveau de gravité qui met en péril la paix intérieure du pays ?
Car la sécurité du pays est bien en
cause comme le montrent les dramatiques actions terroristes qui se multiplient
depuis 2015. Nombre d'élus de droite comme de gauche le reconnaissent
aujourd'hui après des décennies de laxisme et d'achat de la paix sociale au
prix de renoncements et d'amputations des institutions chargées des principales
missions régaliennes de l’État.
Il paraît que nous sommes en guerre .
Drôle de guerre que celle qui consiste à vivre comme s'il ne se passait rien
sur notre territoire. Drôle de guerre qui ne se limiterait qu'aux bombardements
et à l'engagement des Forces spéciales au Moyen-Orient ou en Libye mais que
l'ennemi ne pourrait pas porter à l'intérieur de nos frontières ! Au nom des
libertés on laisse s'exprimer dans certaines mosquées des imams wahhabites qui
sont les premiers sergents recruteurs de Daesh. C'est, semble-t-il le cas de
l'imam de Saint-Étienne-du-Rouvray. Drôle de guerre durant laquelle le
magistrat n'utilise pas à fond l'arsenal juridique dont il dispose .On persiste
à tolérer les manifestations de rue, à maintenir les grands rassemblements qui constituent autant de
cibles idéales pour des illuminés endoctrinés et qui entraînent un suremploi et
un épuisement des forces .Il aura fallu l'horrible massacre de Nice pour que
des maires suppriment les feux d'artifices. Dès que l'impensable -mais
prévisible- se produit, chacun se rejette la responsabilité alors que tous en
portent. De même le 14 juillet on proclame la fin de l' état d'urgence et le
lendemain, après la catastrophe, on le rétablit pour six mois avec un
renforcement de mesures qui auraient dû être prises dès l'origine. Est-ce cela
faire la guerre ?
La population française a-t-elle le
sentiment que la Nation est en guerre ? Non, la société civile se demande ce
qu'elle doit faire et comment elle doit se comporter. Elle est tétanisée parce
que l'on ne veut pas dire d'où vient le mal de peur de stigmatiser une
communauté, alors qu'il faudrait pointer et éradiquer la radicalisation
islamiste. La faiblesse dont on a fait preuve jusqu'ici à l'égard des
djihadistes et de leurs maîtres à penser risque de conduire à des affrontements
entre communautés.
En terme de décisions prises sous le
coup de l'émotion, ce ne sont que polémiques et déclarations martiales à chaud.
En fait, on court en permanence par la surenchère derrière l'événement en
laissant l'initiative à cet adversaire que l'on a peine à qualifier d'ennemi
puisqu'il a souvent la nationalité française. Ce n'est pas ainsi que l'on gagne
une guerre ! Dans le domaine du renseignement et malgré les restructurations
successives du dispositif chargé de cette mission fondamentale, dispositif dans
lequel la gendarmerie n'a pas encore trouvé toute sa place malgré les efforts
du Directeur général pour valoriser cette fonction, la France est incapable, pour
d'obscures rivalités, de placer sous l'autorité d'un unique Directeur National
du Renseignement directement rattaché au Premier ministre à l'image de celui
créé en 2004 aux Etats-Unis, l'ensemble des services ( agences aux E.U ) dont
la prestigieuse N.S.A contribuant à cette mission. Les gouvernements ont amputé
les moyens de renseignements humains dont le rôle est pourtant fondamental dans
les quartiers sensibles.
Pourtant, dès les années 1990 plusieurs
propositions allaient dans ce sens. Il est vrai qu'au nom du sacré « Devoir de
réserve » elles se perdaient dans des cercles confidentiels ou les haussements
d'épaule. De l'aveu même du Garde des Sceaux. La justice est sinistrée et
débordée. C'est donc bien que la délinquance ne baisse pas et que les contentieux
sont de plus en plus lourds. Si tel est le cas il est évident que le poids des
charges des services -Police, Douanes et Gendarmerie- qui œuvrent en amont et
alimentent les tribunaux se trouve de facto alourdi alors que dans le même
temps ils ont perdu des effectifs que l'on commence seulement à reconstituer.
Dans les circonstances que nous traversons c'est d'une véritable justice
antiterroriste, appliquant sans faiblesse les lois existantes, dont nous avons
besoin et qui ne remette pas en liberté, même avec un bracelet, un individu
dont la volonté de tuer était démontrée.
Le général Soubelet n'a rien dit d'autre
devant la commission parlementaire et dans son livre. Devait il se taire alors
que, responsable des opérations, et de l'emploi, il avait un devoir de vérité
dont on constate aujourd'hui la pertinence, pour informer complétement la
représentation nationale ? Devait il adopter la confortable politique de
l'autruche, celle qui tout au long du XX° siècle nous a conduit aux
catastrophes de deux conflits mondiaux et d'une décolonisation conduite de
façon désastreuse alors que des voix -certaines illustres- tiraient en vain le
signal d'alarme ? Devait-il laisser croire à une opinion publique sensibilisée
par les attentats que pas un bouton de guêtre ne nous manquait pour assurer sa
sécurité ?
En France on a trop pris l'habitude
d'élaborer des Livres Blancs dans lesquels on a taillé une menace à l'aune des
moyens que l'on daignait consentir pour s'en prémunir alors qu'il aurait fallu
faire le contraire en partant des menaces telles que nous les connaissons
objectivement pour bâtir un outil de défense et de sécurité performant. Devant
la cruauté des faits il a bien fallu se rendre à l'évidence et remonter en
puissance en conservant des régiments qui devaient être dissous, en
reconstituant trois escadrons de gendarmerie mobile ou en envisageant de faire
un plus large appel aux réservistes que pompeusement on assimile à une « garde
nationale ».
Concentrés sur la menace principale
actuelle que représente le Califat, nous n'attachons que peu d'attention aux
visées expansionnistes du président Poutine qui devraient inciter l'Europe à se
doter d'une défense cohérente digne de ce nom car, là aussi, nous ne sommes pas
à l'abri d'une tragédie. A l'autre bout du monde le conflit larvé sino-vietnamien
pour le contrôle des iles Paracells, conflit que l'on étudiait déjà à l’École
Supérieure de Guerre dans les années 80 en raison de son impact majeur sur le
trafic maritime international, pourrait également nous concerner. les
Australiens l'ont bien compris avec la commande de douze sous-marins. La
défense a un prix que le citoyen n'acceptera de payer que si on lui dit
clairement toute la vérité.
L'obligation de réserve doit être
réexaminée à la lumière des données modernes de l'information, de la réalité de
la situation, de la vitesse à laquelle les événements se succèdent parfois de
façon dramatique. Ceux qui sont soumis à cette obligation ne doivent plus être
considérés comme des sous-citoyens n'ayant que le droit d'exécuter et de se
taire sous peine de sanctions, alors que l'on exige d'eux ainsi que des
administrations et des forces qu'ils commandent ou représentent plus de
résultats. Bien au contraire on devrait se féliciter de les voir parler net
pour éclairer les décideurs et obtenir l'adhésion de la population.
Au XXI° siècle, le besoin de vérité face
aux réalités doit réduire le champ d'application du devoir de réserve aux
stricts domaines qui relèvent du secret. On peut même affirmer que devant le
déferlement médiatique plus ou moins orienté et le flot de nouvelles douteuses
qui envahit le Net, c'est désormais une obligation pour ceux qui ont en charge
la sécurité des Français de leur expliquer la situation réelle sous peine de
continuer à être surpris par de nouveaux réveils douloureux. »
Mis
à part le couplet sur la Russie et la Chine, je ne peux qu’approuver ce
Général. Ce couplet est celui dont j’ai été abreuvé pendant la guerre froide à l’École de guerre, cela a laissé des traces dans la génération de ce Général. Dans
un pays en proie à des menaces, dont celle d’une guerre intérieure et
extérieure, le peuple
doit être informé par tous les acteurs, penseurs qui détiennent une part de la
vérité pour se déterminer en pleine connaissance de cause. C’est la base de la
démocratie, un peuple désinformé ne peut plus l’exercer ou alors à son
détriment.
Quand on veut étouffer le son des sirènes d’alerte
Il n’y a pas grand monde à rentrer aux abris
Mais beaucoup de cercueils à pleurer !
Claude Trouvé
Coordonnateur MPF du
Languedoc-Roussillon
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