Nous
fêtions hier le 66ème anniversaire de la déclaration qui marquait le
premier acte de la construction européenne. Robert Schuman, alors ministre
français des Affaires étrangères et considéré comme l'un des pères fondateurs
de la construction européenne avec Jean Monnet, faisait, dans les salons de
l'Horloge du Quai d'Orsay à Paris, la déclaration suivante : « L’Europe
ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle
se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait »…/...« la
mise en commun des productions de charbon et d’acier changera le destin de ces
régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre dont elles ont
été les plus constantes victimes. » Ces deux acteurs de l’Europe ont
pourtant eu une influence diamétralement opposée sur le but à atteindre. Si
Jean Monnet construisait un projet fédéral autour de l’Allemagne, projet
américain pour lequel il était mandaté, Robert Schuman militait pour une Europe
pragmatique, se construisant pas à pas et trouvant son unité dans des
réalisations concrètes faisant naître progressivement une identité européenne dans
laquelle se reconnaîtraient les peuples concernés.
Tout
ce qui a suivi la construction de la Communauté Européenne Charbon-Acier, œuvre
de Robert Schuman, a illustré cette opposition fondamentale. L’influence
anglo-saxonne s’est exercée sur les dirigeants des différents pays pour les
conduire vers un fédéralisme à marches forcées. Au contraire les peuples ont
rapidement retrouvé leurs réflexes nationaux pour ralentir ce mouvement de
refus d’un fédéralisme à tendance expansionniste. Cette opposition explique la
tendance antidémocratique de la construction européenne qui permet une marche
autoritaire vers le fédéralisme. Ainsi, si la CEE à six pays avait encore en
1972, sous l’influence française, une volonté d’harmonisation progressive entre
des pays proches économiquement dans un cadre intergouvernemental, l’arrivée du
Royaume-Uni en 1973, et l’élargissement à dix pays, marquaient l’arrivée
concrète de la finance et de la politique étrangère anglo-saxonne. La volonté d’élargissement
et l’orientation atlantiste n’allait plus cesser. Toutefois l’Allemagne encore
divisée n’empêchait pas la France de s’opposer à un glissement vers le
fédéralisme souhaité par la politique étasunienne, d’autant plus que le Royaume-Uni
ne l’envisageait pas, se contentant des bienfaits économiques et financiers.
La
réunification de l’Allemagne puis le traité de Maastricht en 1991 ont
malheureusement changé la donne géopolitique. L’Allemagne s’est alors imposée
avec un mark renommé euro et la nouvelle UE a réaffirmé sa vocation
fédéraliste. La finance anglo-saxonne pouvait bénéficier de la libre
circulation des capitaux et des biens. Dans cette Europe des 12, la France faisait
encore engraisser le milieu agricole en étant toujours le principal bénéficiaire
de la PAC et n’avait pas perçu que la promesse de l’euro ne menottait pas l’Allemagne
à la France comme le pensait François Mitterrand. La France venait de signer la
perte de son leadership. Dès 1995 l’Europe des 15 annonçait le clivage nord-sud
avec l’arrivée de la Suède, de la Finlande et de l’Autriche. Le 21ème
siècle donnait un vent de citoyenneté européenne qui commença à se briser en
2004 avec l’arrivée de dix nouveaux pays préparée par le traité de Nice et entériné
par le traité d’Athènes en 2003.
Le
clivage nord-sud commença à plomber les relations intergouvernementales en
rendant difficile le nouveau fonctionnement mis en place par le traité de Nice.
L’Allemagne, discrète sur le plan géopolitique, se replaçait au centre du jeu
économique et ouvrait le pays à l’OTAN. La France s’imposait encore en
politique étrangère avec son refus de la guerre en Irak en 2003 et se donnait l’illusion
d’un leadership européen. On parlait pourtant de plus en plus du couple
franco-allemand comme du moteur de l’UE. L’arrivée de trois pays d’Europe
centrale en 2003 et 2004 donnait pourtant à l’Allemagne la possibilité de
consolider son leadership économique en lui ouvrant un nouveau marché de biens
et de main-d’œuvre bon marché à sa porte. Sa position centrale n’a cessé de se
conforter par l’arrivée des sept autres pays jusqu’en 2015.
Mais un grand évènement allait marquer l’année
2004 avec l’émergence d’un projet de Constitution Européenne qui devait réunir
dans un même texte les différents traités depuis la CECA et officialiser la
primauté de l’UE sur les Etats, dans ses domaines de compétence. L'idée de
constitution prend racine dans l'Europe continentale devant les difficultés de fonctionnement
de la perspective d’une Europe à 25 en train de se réaliser. Néanmoins l'idée
de constitution, définie au sens strict du terme, est à l'opposé de la culture
anglo-saxonne. Ce traité de Rome II, ou traité de Rome 2004, signé le 29
octobre, devait être approuvé par tous les États membres soit par le
représentant de l’État ou les Parlements, soit par référendum. Ce fut l’occasion
de voir un bien piètre appel à la démocratie. Seuls trois pays ont organisé un
référendum, et deux pays, les Pays-Bas et la France, ont répondu « non ».
La Bulgarie, la Roumanie et la Turquie ( ! ) faisant également partie des
signataires à Rome (à titre d'observateurs), l'entrée en vigueur de ce traité
aurait dû également concerner les deux premiers, dès le 1er janvier 2007,
après la ratification de leur traité d'adhésion signé à Luxembourg le 25 avril 2005.
Ce refus quasi
général de faire appel à une consultation directe des peuples s’est concrétisé
encore plus nettement dans le traité de
Lisbonne, signé le 13 décembre 2007
à Lisbonne entre les vingt-sept États membres de l'Union européenne, qui
transforme l’architecture institutionnelle de l’Union. A contrario du traité de
Rome qui réalisait une fusion des différents traités précédents, le traité de
Lisbonne est un conglomérat des traités précédents et n’apporte aucune clarté. Le
texte du traité a été approuvé par le Conseil européen de Lisbonne, le 19 octobre
2007, et signé le 13 décembre de la même année par les 27 chefs d’État ou de
gouvernement, également à Lisbonne. Sa ratification n’a donné lieu à aucun
référendum ce qui était finalement le but. Pourtant le référendum était
souhaité par 76 % des Allemands, 75 % des Britanniques, 72 % des
Italiens, 65 % des Espagnols et 71 % des Français. Ce déni de démocratie
pour des dispositions aussi importantes dans le destin des peuples est le
commencement d’un refus systématique de tout référendum au niveau européen et s’est
propagé dans de nombreux peuples européens. L’UE devenait vraiment
anti-démocratique et allait devenir antisociale et meurtrière, ce dont je
parlerai dans le prochain article.
Une Europe ni intergouvernementale, ni
confédérale,
Ne peut construire son fédéralisme
Que contre ses propres peuples
Dans l’« anti-démocratie » !
Claude Trouvé
Coordonnateur MPF du Languedoc-Roussillon
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