L’Assemblée
Nationale a été informée hier 15 août 2015 des intentions du gouvernement sur
son engagement sur le territoire syrien. Aujourd’hui il va être question du
flux migratoire dans cette même Assemblée. Évidemment ces deux questions sont
intimement liées et elles n’ont aucune solution efficace ni à court, ni à long terme
en France et en Europe. En Syrie nous n’entraînons pas avec nous la communauté
européenne et il apparaît même que nous voulons jouer seuls notre petite guerre,
d’ailleurs sans aval explicite de l’ONU. Pour le flux migratoire nous ne savons
pas mieux régler le flux venant de Turquie que celui provenant de la Libye. La
seule « avancée » est le constat d’échec du traité de Schengen et
même de l’éclatement de l’Union Européenne ou tout au moins de l’illusion d’une
identité européenne solidaire.
Il est désormais évident que
tout cela s’inscrit dans la mise en œuvre de la théorie du chaos de la géostratégie
étasunienne sur l’Afrique et le Moyen-Orient avec extension sur l’Europe. Les
peuples européens commencent à se demander ce qu’il leur arrive… et se perdent
en réflexions sur la solidarité humanitaire, perdus qu'ils sont entre leurs sentiments d’hospitalité
et les risques de ceux-ci, tout cela assorti d’une interrogation sur le « jusqu’à
combien ? » et le « jusqu’à quand ? ». Pourtant tout
ceci pouvait être prévu. Pour ceux qui se souviennent encore de la Yougoslavie
et de son dictateur Tito, ils ont pu mesurer que sa disparition a abouti à la
dernière guerre européenne, celle des Balkans où l’Allemagne et la France se
sont opposées et où les États-Unis sont venus mettre fin au conflit du Kosovo.
On ne met pas à bas un régime dictatorial qui maintient la paix intérieure par
la force sans déclencher des guerres civiles qui peuvent mener au chaos.
Sans tenir compte des leçons de l’histoire,
la France et le Royaume-Uni, avec la complicité de l’UE, ont détruit le régime
libyen sous la férule de Kadhafi, cible désignée par les États-Unis. L’Assemblée
nationale, les deux principaux partis, gauche et droite réunis, ont applaudi.
On a mesuré là ce qui perdure, le manque de vision de nos politiques, leur
servilité et pour tout dire leur incompétence. En effet ce fut le début d’un
chaos dans lequel nous trempons aujourd’hui. Il ne fallait pas tuer Kadhafi,
surtout après l’avoir invité à Paris. Ceci nous a valu la désapprobation d’une
grande partie de l’Afrique où ce leader était respecté mais surtout a rendu la
Libye incontrôlable devenue le lieu de pillage de son arsenal, la plaque
tournante de tous les trafics dont le trafic humain, la base arrière de tous
les mouvements djihadistes et le lieu prochain d’entraînement et de recrutement
de Daesh. L’histoire est cruelle car elle n’oublie pas, jugez plutôt.
Le défunt colonel
Kadhafi déclarait à une télévision turque le 7 mars 2011 (huit mois avant sa
mort) :
«La négligence sur la
stabilité de la Libye entraînera l’effondrement de la paix dans le monde via la
non-stabilité en mer Méditerranée. Dans le cas où notre pouvoir en Libye
devrait s’achever, il y aurait un déversement de millions d’Africains
clandestins en Italie, en France… » Et de poursuivre : «… et
l’Europe deviendrait noire en peu de temps. C’est notre pouvoir qui bloque
l’immigration clandestine. C’est grâce à nous qu’il règne la stabilité en
Méditerranée, tout au long des 2.000 km de côtes libyennes. Nous empêchons
l’immigration, le développement d’Al-Qaïda. Sauf pour ceux qui se sont
faufilés jusqu’à présent. Donc, si la stabilité de la Libye venait à être
ébranlée, cela aurait immédiatement des mauvaises répercussions sur l’Europe et
en Méditerranée. Tous seront en danger.»
Que l’on aime ou non ce
dictateur, il disait vrai et on est passé outre. Croyez-vous que cela ait
changé quoi que ce soit dans notre comportement ? Non contents d’avoir
créé le chaos en Libye, nous avons suivi les USA en Irak et nous continuons à
le faire en Syrie où règne encore sur une partie du territoire un gouvernement
fort et démocratiquement légal, soutenu très majoritairement par sa population.
Nous voilà de nouveau en train d’étendre notre puissance de feu sur un
territoire de plus en plus vaste de l’Irak à la Syrie en s’éloignant un peu
plus de nos aérodromes de départ. Vous me permettrez de dire que cette décision
est coûteuse, inefficace et contraire à nos intérêts vitaux. Lutter
efficacement contre l’EI, c’est faire une guerre totale et éclair comme celle
des États-Unis en Irak devant une armée autrement plus structurée et puissante
que celle de l’État Islamique même si elle comporte des dizaines de milliers de combattants
et des armes de plus en plus sophistiquées.
Tant que nous ne participons pas à une coalition prête à en
découdre dans les airs mais aussi au sol avec des moyens lourds, la guéguerre
est contreproductive. Non seulement elle ne permet pas d’éradiquer l’ennemi
mais elle le conforte dans son prestige et lui vaut de nouveaux combattants
venus de toute l’umma et même d’européens en quête de raison de vivre ainsi que
de nouveaux ralliements des multiples groupes se proclamant djihadistes. Je n’ose
croire que des généraux puissent conseiller une telle intervention à notre
Président, j’espère qu’ils ne sont qu’aux ordres sinon je penserais que l’armée
n’a pas changé depuis 1939. Mais il n’y a pas de coalition pouvant œuvrer efficacement
et dans la clarté sans la participation de la Syrie, donc de la Russie, or ceci
est encore exclu et notre intervention n’est qu’un cocorico qui ne peut que
motiver des attentats sur notre territoire. Il nous reste à voir le rôle clé de
la Libye dans la situation actuelle des flux migratoires de réfugiés et de
combattants, des trafics d’armes, humains et en tous genres, ainsi que celui de l’Égypte qui ne contrôle plus le Sinaï, et la menace qui pèse désormais sur le
Liban, la Jordanie et le Yémen. Nous en parlerons dans le prochain article.
« Qui sème le vent , récolte la tempête » !
En Libye, nous vivons celle du désert,
Des trafics d’armes et d’êtres,
Du chaos et des guerres
Que l’on répand !
Claude Trouvé
Coordonnateur MPF du
Languedoc-Roussillon
Commandant de Réserve dans
le Service d’État-major
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