Notre nouveau Ministre de l’Éducation nationale lance,
comme tous ses prédécesseurs, une réforme en profondeur de l’enseignement à
l’école primaire. Ceux-ci ayant réussi à dévaluer régulièrement la qualité de
l’enseignement français dans les classements mondiaux, on peut encore douter un
moment de sa réussite, même si par ailleurs on ne peut que la souhaiter. La
baisse du niveau global des connaissances des élèves dans le primaire est un
constat que tout le monde peut faire. Il est loin le temps où mes oncle et
tante, seuls enseignants dans une école primaire de village et ayant enseigné à
trois générations, pouvaient affirmer n’avoir jamais laissé partir un élève ne
sachant pas lire, écrire, compter, le tout avec agilité et compréhension, et
connaissant les bases de la morale civique, de l’histoire et de la géographie
de leur pays. Le constat est sans appel, selon l'enquête "Cedre"
menée par le ministère, 40% des enfants n'atteignent pas les objectifs attendus
en lecture à la fin du CM2. On sait que 25% des élèves entrant en sixième n’ont
pas le niveau de lecture suffisant pour acquérir d’autres connaissances. Mais
cela continue bien après, puisque qu’un professeur d’hypocagne confiait il y a quelques
années que, sur 15% des devoirs rendus, il ne comprenait pas ce que l’étudiant
avait voulu dire. Ma belle-fille enseignante en troisième cycle fait le même
constat de faiblesse sur les études mathématiques.
Nous sommes devant un paquet de « recettes » assénées sur la tête
des enseignants, mis implicitement sur le banc des coupables pour dérive
pédagogique. Il est donc bon de rappeler qu’il n’est pas possible de supprimer
effacement des effets si on n’en supprime pas les causes. Or pour ce faire il
faut d’abord les avoir identifiées, et l’on met encore une fois la charrue
avant les bœufs. A quoi avons-nous affaire ? A un environnement sociétal,
familial, génétique, dans lequel plonge un enfant qui doit acquérir des
connaissances, et un enseignant plus ou moins motivé et plongé lui-même dans un
univers éducatif qui l’a formé, gère sa carrière, et oriente son travail
pédagogique et les connaissances à enseigner, mais œuvrant aussi dans un
contexte de moyens pédagogiques et de locaux plus ou moins adaptés, de nombre
d’élèves issus de tranches diverses de la société, de relations difficiles avec
les parents et l’administration. Le premier constat est que le travail
pédagogique et les connaissances à enseigner ont peu de chances de permettre à
l’élève d’acquérir ces connaissances si tous les autres facteurs influents
agissent pour que ce but ne soit pas atteint.
Vu mon âge les circulaires du Ministre me font rajeunir de 75 ans et je lui
en suis reconnaissant, car je me revois avec mes dictées sur cahier à carreaux
et interlignes, avec marge à gauche pour les corrections, manipulant
maladroitement mon porte-plume. La grande révolution, non sans mal, a été
l’introduction du stylo à bille, mais le contenu des connaissances a très peu
évolué pour la génération suivante. Les livres et la forme de relation
élève-professeur avait changé, mais on peut noter que, globalement, le niveau
des élèves restait satisfaisant jusque dans les années 90. Certains chercheurs
voient une raison à la baisse du niveau des élèves dans une baisse du QI. C’est
le cas de la biologiste du CNRS Barbara Demeneix : « Dutton et Lynn ne donnent que des hypothèses pour expliquer cette
baisse, alors que je m’appuie sur des études scientifiques validées par la
communauté. » Selon elle, l’exposition aux perturbateurs endocriniens
impacte le développement du cerveau en agissant sur les hormones thyroïdiennes.
Et de citer par exemple cette étude sur l’effet de l’exposition aux phtalates
(des substances chimiques que l’on retrouve dans des plastiques et des produits
du quotidien) dans le ventre de la mère sur le QI des enfants âgés de 7 ans.
Un certain nombre de chercheurs situent cette baisse à la fin du XXème
siècle et je ne peux que prendre cette information et la confronter à mon
propre vécu. Elle ne paraît pas farfelue. Mais il est beaucoup plus intéressant
d’écouter Laurent Alexandre, spécialiste de l’intelligence artificielle et
préoccupé par la concurrence de plus en plus grande entre celle-ci et
l’intelligence humaine : « Il
faut améliorer l’école. Le QI moyen en France est de 98, alors qu’il est de
108 à Singapour. La différence n’est pas génétique. Avant, le niveau des
Singapouriens était inférieur au nôtre. Mais eux ont modernisé l’école et
paient très bien leurs professeurs… Nous faisons le contraire ! Le QI moyen
baisse en France alors qu’il explose en Asie. Avant de parler de
"neuro-enhancement", d’augmentation du cerveau, il faut arrêter le
naufrage de nos propres capacités intellectuelles. A l’ère de l’intelligence
artificielle, le QI ne peut pas être un tabou. » Son constat n’est pas
pessimiste car il croit en l’avenir de l’homme mais on ne peut que constater
qu’il y a un lien fort entre le classement PISA de Singapour et celui de la
France. Singapour est en tête, la France 26ème en 2017 et en recul
d’une place depuis 2012.
Il croit en la possibilité d’augmenter notre coefficient intellectuel, par
une vie saine d’abord et par une excellence dans l’éducation et la formation.
On peut citer en plus que le monde d’Extrême-Orient a une motivation nationale
et individuelle très supérieure à la nôtre. Tous ceux d’entre nous qui y sont
allés, ont pu le constater. Or la motivation de l’élève est donnée par
l’environnement familial d’abord et sociétal ensuite. On a pu constater la
motivation des familles immigrées, polonaises, italiennes, espagnoles,
portugaises pour que leurs enfants travaillent à l’école, acquièrent un métier
et s’intègrent le plus rapidement possible. Mais la motivation de l’enseignant
ne peut se limiter à un amour inné de ce métier, passionnant certes, mais
demandant un savoir-faire pointu qui mérite une considération à la hauteur de
l’engagement à risque qu’il représente. Cette considération est constituée de
trois éléments-clé, le respect mutuel maître-élèves, la coopération
constructive des parents, et le déroulement de carrière incluant principalement
la rémunération. La motivation de l’élève et de l’enseignement et le respect
mutuel sont les piliers sur lesquels doit se construire tout ce qui concoure à
la réussite du passage des connaissances de l’élève au maître. Cela reste vrai
depuis Socrate et Platon.
Si les fondamentaux sur lesquels s’appuie le Ministre Blanquer ont fait
leurs preuves, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont nécessaires à toute
progression dans la connaissance, mais parce que les conditions favorables de
leur utilisation étaient autrefois réunies. C’est là que se trouve la pierre
d’achoppement de cette nième réforme, car les conditions ont réellement changé
et dans le sens défavorable. Le respect de l’élève envers le maître s’est
détérioré, et s’il en est ainsi ce n’est pas seulement la faute de l’élève.
Quand en maternelle des enfants tapent sur les enseignants, ou leur tiennent
des propos irrespectueux, ce n’est pas un défaut inné chez ces enfants. Cela
vient de l’éducation familiale. Ou bien les enfants miment l’irrespect régnant
entre les parents, ou bien ils sont montés par eux contre l’école pour des
convictions religieuses ou pas. Lorsque les parents viennent critiquer
l’enseignant avec l’enfant, ils minent le respect maître-élève. Lorsqu’ils
sortent du cadre strict de leur rôle d’amélioration des conditions
d’environnement de l’enseignement pour toucher aux programmes ou aux méthodes pédagogiques
dans le cadre restreint et clos de l’école, ils portent atteinte au
savoir-faire des enseignants et sa nécessaire sérénité et confiance en soi. Si
l’élève le sait, il y trouvera une raison supplémentaire pour ne pas faire
l’effort nécessaire.
Il faut reconnaître que la motivation engendre l’acceptation de l’effort.
Sur ce point l’évolution de l’enseignement vers l’apprentissage sans effort ou
tout au moins dans le souci de le rendre le moins contraignant possible a fait
fausse route. Comme doivent le faire les parents, l’école doit cultiver la
nécessité de l’effort et en récompenser l’élève. La vie est un combat. Les
légionnaires sont une élite de l’infanterie française mais leur entraînement
est l’un des plus durs et l’effort les construit en fantassins d’exception.
L’effort peut être demandé sans coups de règle comme autrefois, car l’enfant
comme l’adulte est sensible au jeu et au rire. C’est tout l’art de l’enseignant
de faire rire en y renforçant son autorité. L’élève motivé et joyeux est
toujours rempli de curiosité. Là encore trop imposer dans un cadre strict donné
à l’enseignant fait fi des conditions environnementales du moment, et enlève à
celui-ci la variable d’ajustement qui lui reste. Le cadre pédagogique doit donc
être assez large et lui permettre d’expérimenter et d’ajuster aux conditions du
moment.
Lorsque les parents craignent pour l’avenir de leurs enfants, ils leur
passent, intentionnellement ou non, une raison de repli et de démotivation.
C’est alors le rôle de l’Etat de leur ouvrir des perspectives d’avenir meilleur
par en particulier une santé économique et une sécurité jusque dans l’école. La
violence est destructrice de l’acquisition des connaissances en créant un
stress bloquant. Si l’on ajoute des
classes surchargées et un manque d’enseignants pour assurer une continuité en
cas d’absence de l’un d‘entre eux, on conçoit que les directives ministérielles
peuvent être réduites à néant dans leur efficacité. Mais il reste un point
fondamental, c’est la qualité intrinsèque de l’enseignant. Il ne s’agit pas de
celle d’un enseignant en particulier mais de la qualité globale des nouveaux
enseignants. Elle tient à la qualité du recrutement et de leur formation. On ne
choisit pas un artisan sur la qualité de ses outils, mais sur son savoir-faire.
La suppression de l’année probatoire en compagnie d’enseignants diplômés est
très néfaste à la qualité pédagogique des jeunes enseignants œuvrant souvent
dans les zones urbaines les plus difficiles. Une attractivité de carrière bien
rémunérée et une formation accompagnée sur le tas, avant toute intervention en
solo dans une classe difficile, sont des conditions essentielles permettant de
produire les fruits d’une réforme pédagogique, même bien cadrée sur les buts à
atteindre.
Cette réforme donnant des détails précis à l’intention des enseignants va
servir de point d’appui pour donner aux parents un droit de regard sur la
pédagogie de l’enseignant. Si l’on y ajoute la critique implicite des
enseignants, la présentation médiatique, le manuel de 130 pages et les 4
circulaires, il apparait que la communication du Ministre est dirigée vers les
parents, mais prend un gros risque de se heurter à des enseignants traumatisés
et récalcitrants, dans un contexte où ils souffrent d’un manque d’effectifs, de
considération, et de reconnaissance pécunière. De plus le recrutement difficile
qui fait arriver des enseignants de niveau moindre, et une formation écourtée
sur la pratique in situ assistée, n’a trouvé aucun écho dans la réforme
proposée. L’attractivité de la profession est toujours en baisse et entraîne
celle de la qualité du recrutement. Or c’est la motivation et la qualité de
l’enseignant qui reste le plus important pour espérer des résultats meilleurs
chez les élèves.
La réforme en cours, qui propose
des recettes éprouvées,
Passe à côté de tout ce qui
permet d’en faire
Un gage de réussite sur tous les
élèves.
Si elle apaise un temps la grogne
Chez les parents, elle risque
De faire pschitt comme
Les précédentes !
Claude Trouvé
28/04/18
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