A l’heure du lancement de la campagne des législatives
européennes par Emmanuel Macron un grand élan de « consultations » est
en marche sur l’ensemble du territoire français. C’est donc le moment de se
pencher sur une monnaie, l’euro, devenu un symbole qui s’est accroché au cœur des
français plus encore que l’Union Européenne elle-même. J’ai pu constater que l’on
peut discuter sur les bienfaits ou les tares de l’UE avec les convaincus et les
sceptiques, et faire des constats communs. En effet on est souvent dans le marais
des grandes idées sur la paix, la fraternité, la proximité géographique, l’échange
culturel, l’union qui fait la force de nos économies face aux géants américains
et chinois, etc. Ce débat au niveau des idées, qui ne s’accroche pas à des
réalités factuelles prouvées, mais à des idées conceptuelles en référence à des
évocations historiques ou des appréhensions pour l’avenir, permet des
discussions de salon sans réel blocage. Au fond l’UE n’aurait finalement besoin
que d’un lifting pour en rendre les avantages plus grands et les défauts
moindres. L’idée européenne reste néanmoins une grande avancée vers le bonheur
sécurisé dans l’esprit de beaucoup de nos compatriotes, idée d’ailleurs
soutenue par la plus grande partie des partis politiques qui la vantent, ou parlent
au mieux de la réformer en oubliant que les grandes réformes doivent être signées
par 28 pays aux intérêts économiques et géostratégiques souvent incompatibles.
La visite de Macron à l’Assemblée européenne et ses
discussions avec Angela Merkel, qui se sont soldées par deux échecs lui ont
permis de mesurer combien la politique européenne ne peut pas être dirigée par
un seul chef d’Etat et que les nationalismes sont toujours présents. La volée
de bois vert qu’il a reçu de la part de deux eurodéputés, belge et portugais,
sur sa politique intérieure et étrangère, montre qu’il ne peut pas faire seul
la loi européenne.
Les français sont les plus friands de ces
idéologies, de ces grandes envolées humanitaires, qui les font rêver car ils n’aiment
pas regarder le fond du bol. D’ailleurs si l’on parle de sortie de l’UE, la
discussion reste sur ce domaine conceptuel sauf si l’on parle de sortie de l’UE
entraînant l’abandon de l’euro. C’est ce lien qui fait tout-à-coup sortir du rêve
l’interlocuteur. L’euro c’est d’une part le symbole européen pour le français, ce
qui est palpable dans notre portefeuille, et le réel qui matérialise le rêve.
Là l’interlocuteur devient beaucoup péremptoire, voire agressif. Si on le lui enlève,
c’est pour lui un bond en arrière, la fin de la monnaie forte qui sécurise, de la
monnaie qui permet des échanges faciles avec les pays voisins et symbolise notre
lien fraternel. C’est donc la fin du rêve européen. Evidemment le sentiment que
l’euro donne la même chance à tous de progresser ensemble est bien ancré dans l’esprit
des français.
Dire que nous n’avons pas une monnaie « unique »,
mais des monnaies nationales baptisées euro dans chaque pays et échangeables 1 pour
1 entre banques centrales sur une plateforme bancaire européenne de la BCE, est
difficile à admettre mais ne choque pas. Pourtant il leur faudra bien constater
que les taux d’emprunt d’Etat et les CDS, assurances associées pour défaut de paiement, sont différents d’un
pays à l’autre. Le 21 avril 2008 le taux à 10 ans pour la France est à 0,82% d’intérêt,
à 0,591% pour l’Allemagne, à 1,839% pour l’Italie, à 4,468% pour la Grèce. Les
CDS-5 ans sont à 17,10 pour la France, à 10,40 pour l’Allemagne, à 91,90 pour l’Italie,
à 326,50 pour la Grèce ! Qui peut encore prétendre que 1 euromark, vaut de
fait un eurofranc, un eurolire ou un eurodrachme ? L’échange 1 pour 1 ne
tient que par la volonté des États membres, mais en cas de dissolution de la
zone euro, le retour aux monnaies nationales ne se fera pas à 1 pour 1. De fait
il y a un facteur 10 de confiance entre l’euromark et l’eurodrachme, euros d’ailleurs
imprimés par les banques centrales des différents pays avec des dessins
différents. La Grèce verrait donc une drachme dévaluée au niveau de la
confiance que son eurodrachme aura inspiré. Ceci entraîne donc déjà un afflux
de capitaux italiens et grecs entre autres vers la Banque centrale allemande qui
inquiète les allemands, car ce ne sont que des créances à risque. Le montant
qui avoisine les mille milliards pourrait bien pousser l’Allemagne à sonner la
fin de l’euro.
L’aventure de la monnaie unique ne rapproche donc ni
les économies de ses membres, ni la confiance associée qui régit les flux de
capitaux. D’ailleurs après huit années depuis son déclenchement, la crise
grecque s'est encore invitée aux réunions du FMI à Washington, avec des
spéculations sur la fin du 3ème programme à échéance du 20 août 2018
d’un plan global d'aide de 300 milliards à ce pays européen et la sempiternelle
question de la poursuite de la participation du Fonds. Mais il reste encore
l'adoption d'un dernier volet de réformes réclamées par les créanciers, et un
plan d’échelonnement de la dette sur une durée plus longue reste d’actualité. Ce
n'est qu'en 2017 que le pays a renoué avec la croissance (1,4%) après avoir
perdu un quart de son produit intérieur brut (PIB).
Cette disparité d’évolution économique s’aggrave
depuis 2010 et cela se voit nettement sur le graphique ci-contre issu de
données de la Banque mondiale. Le PIB/habitant est une donnée particulièrement
intéressante pour caractériser l’évolution de la richesse d’un pays et la
comparaison entre eux. Il est clair ici que la différence d’évolution entre l’Allemagne
et la Grèce est énorme. La première s’était enfoncée dans la récession, et la
seconde caracolait devant l’ensemble des pays de la zone euro. On remarque au
passage que la France perdait du terrain par rapport à l’Allemagne mais aussi
par rapport à l’ensemble de la zone euro. Le fait que la croissance de la Grèce
ait recommencé en 2017 et que le déficit primaire (hors intérêt de la dette) soit
résorbé ne peut sortir ce pays d’un recul toujours présent. Sa dette croît à
plus de 180% de son PIB et de l’aveu même de la BCE, c’est 7,8 milliards d’euros
d’intérêts grecs que celle-ci a engrangé, et 2,5 milliards pour le FMI, un vrai
pactole sur le dos des grecs.
La Grèce n’est pas sortie de l’austérité même si son
taux de chômage a nettement baissé jusqu’à tout-de-même 21%. On voit nettement
sur ce graphique que les disparités ont empiré depuis 2010. La politique d’austérité
entreprise les aggrave. Là encore on constate que l’euro ne permet pas de
résorber le chômage depuis sa création sauf pour l’Allemagne. Il reste à se
demander pourquoi le chômage a baissé en Grèce sans véritable reprise
économique.
La réponse se trouve dans l’évolution du PIB/heure
travaillée. On constate que la Grèce produit de moins en moins par heure
travaillée. Cette baisse de productivité n’est pas la paresse des grecs, comme
certains se plaisent à le dire en toute solidarité européenne, mais le fait que
les moyens mis à disposition pour produire se font de plus en plus rares ou désuets.
C’est l’activité humaine nue qui est privilégiée en dehors des aides matérielles
et énergétiques. A contrario l’Allemagne parfaitement robotisée ne cesse d’accroître
son avance qui entraîne même un manque de main-d’œuvre.
D’une situation où les économies étaient encore
compatibles un temps avec une monnaie commune, au premier choc financier, les
situations économiques se sont écartées avec une Allemagne qui a fait parler son
euromark et le créneau porteur de ses industries tout en s’appuyant sur les pays
environnants à l’Est, au Sud et au Nord au plus près de ses frontières, sur sa terre
historique d’influence. Les pays très distants de l’Ouest et du Sud et moins
imbriqués économiquement ont mal encaissé le choc, et l’euro a créé des
disparités entre l’UE du Nord et celle du Sud. Les dettes par rapport au PIB se
réduisent pour certains comme l’Allemagne, pour d’autres elle s’accroît chaque
jour. La Grèce avait une dette de 187,7% du PIB en 2016, même si elle semble l’avoir
stabilisée un peu en-dessous en 2017. Elles sont si profondes aujourd’hui qu’une
fin prochaine est désormais en vue, et ceci d’autant plus que le flux
migratoire n’est pas reçu de la même façon dans les différents pays de l’UE. Le
besoin de main d’œuvre allemand a attiré un flot que sa population a du mal à supporter
malgré une économie forte, l’Italie porte ouverte sur l’Afrique souffre de
mille maux et se sent délaissée. La fin de l’euro entraînera la fin de l’UE et réciproquement.
L’euro va
mourir par écartèlement des économies
Des pays
qu’il enserre dans son dur carcan
Où gagnants
et perdants sont connus.
Car l’Allemagne
ne le gardera pas
Si cela ne
lui profite plus autant.
Sinon elle
peut tout y perdre !
Claude Trouvé
21/04/18
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