2016-2017
sont deux années charnières entre le monde de la géopolitique bipolaire telle
qu’elle est sortie de la deuxième guerre mondiale, et le monde multipolaire qui
s’installe. Nous avons vécu une courte période de monde unipolaire avec la
disparition de l’URSS. Cette période a provisoirement permis l’éclosion de l’hégémonie
américaine et donné lieu à toutes les dérives des États-Unis devenus gendarmes
du monde particulièrement intéressés aux conquêtes des richesses et à la
subordination des États, soit par obligation consentie, soit par les armes.
Elle s’est terminée en septembre 2016 avec l’arrivée des militaires russes dans
la guerre religieuse syrienne. Cette intervention a été programmée par les
russes pour contenir des forces d’opposition au régime qui trouvaient leurs
moyens financiers et l’aide militaire auprès de pays étrangers regroupés en
coalition. Depuis 1998 la Russie a entrepris son redressement économique et
militaire en s’ouvrant au libre-échange et en modernisant profondément ses
armées vieillissantes. Elle joue désormais un rôle incontournable dans la paix
du monde et tient toute sa place de grande nation au Conseil de Sécurité.
Mais 2016 a vu des
évolutions encore plus importantes avec le rapprochement de la Russie et de la
Chine (conséquence directe du rejet de la Russie par l’UE) et la réelle mise en
œuvre de la politique économique et stratégique des BRICS (Brésil, Russie,
Inde, Chine, Afrique du Sud), groupe de pays créé en 2001 dont la première
réunion a eu lieu en 2009. Son poids dans l’économie mondiale avait atteint 27
% en 2011 et pourrait atteindre, selon certaines projections, 40 % en 2025. Ils
représentent une population de 3 milliards d’habitants, soit 41 % de la population
mondiale ou plus de 3 fois celle des pays de l’OTAN. Bien qu’ayant un
PIB/habitant inférieur à celui des pays développés, les BRICS seraient à
l’origine de plus de 50 % de la croissance économique mondiale au cours des dix
dernières années. Avec quatre pays dans le top 10 des puissances économiques
mondiales et l’Afrique du Sud première puissance économique africaine, ce bloc
va peser de plus en plus lourd dans la géopolitique mondiale et dans le rapport
de forces économique et militaire.
En
plus d’accords bilatéraux économiques et stratégiques entre la Russie et la
Chine, les BRICS ont décidé, en juillet
2014, la création d'une banque de développement basée à Shanghai et d'un fonds
de réserve. La banque est dotée d'un capital de 50 milliards de dollars qui
devait être porté à 100 milliards de dollars en 2016. Elle peut accorder
jusqu'à 350 milliards de prêts pour financer des projets d'infrastructures, de
santé, d'éducation, etc. Tout ceci leur permet de plaider pour une refondation
des organisations internationales comme le Conseil de Sécurité de l'ONU et les
organisations de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale). Le FMI entre autres est
taxé d’exigences de réformes structurelles et d’ingérence politique intolérable
en échange de son aide. On ne peut que le constater avec la Grèce en Europe.
Mais plus important
encore est la création en 2001 de l’Organisation de Coopération de Shanghai
(OCS), née dans la foulée du bouleversement géopolitique entraîné par la
disparition de l'URSS. En juin 2016, l’Inde et le Pakistan sont rentrés officiellement
comme membres dans l’OCS. L’entrée
conjointe de ces deux pays est un signe géopolitique très fort compte-tenu de
la tension qui règne entre ces deux pays depuis la création du Pakistan actuel (non encore indiqué sur la carte ci-contre).
Cette organisation compte actuellement 18 États dont 10 États observateurs ou
partenaires de discussion et 8 États membres. On y retrouve peu ou prou les
Républiques de l’ex-URSS, encore réunies dans la Communauté des États
Indépendants (CEI) dont le but est une alliance militaire. Dans les États observateurs
il y a l’Iran et l’Afghanistan dont il est inutile de dire l’importance
géostratégique. Le rapprochement de l’Iran, devenu partenaire de la Syrie et de
la Russie dans la reconquête de l’État syrien, ainsi que les accords
militaro-économiques en cours, montrent que ce pays est de facto dans l’OCS.
Avec la Biélorussie, c’est toute l’Asie et la jonction avec l’Europe qui se
trouvent réunies hors monarchies pétrolières du Moyen-Orient, Turquie, Israël
et Asie du Sud-Est. L’Irak, sous gouvernement chiite, n’échappera pas à l’attraction
de ce pôle géostratégique. En dehors de relations de bon voisinage (Cf.
Inde-Pakistan), les objectifs sont multiples. Il y a d’abord le renforcement de
la coopération entre ces États dans les
domaines politiques, économiques et commerciaux, scientifiques et techniques,
culturels et éducatifs, ainsi que dans les domaines de l’énergie, des
transports, du tourisme et de l’environnement. Mais en plus d’un objectif de paix, de sécurité et de stabilité
régionales, celui de la création d’un nouvel
ordre politique et économique international, plus juste et démocratique,
est clairement affiché.
En
réalité ce nouvel ordre politique et économique international s’oppose
frontalement au Nouvel Ordre Mondial (NOM) qui définit un monde
unipolaire sous
la coupe de l’hégémonie américaine. Par les BRICS et l’OCS, la Russie,
la
Chine, l’Inde et bientôt l’Iran, tiennent l’essentiel de l’Asie hors de
la
mainmise des États-Unis sur le Sud-Est, avec en plus un point d’ancrage
en
Afrique et en Amérique du Sud. Si les États d’Asie du Sud-Est, comme la
Corée
du Sud, Taïwan, le Japon, la Malaisie et les Philippines sont encore
dans le
glacis américain, ces dernières s’opposent de plus en plus brutalement
aux États-Unis. De ces deux organisations BRICS et OCS vont sortir de
grands
projets d’infrastructures sur le transport des hommes, des produits
manufacturés, des matières premières, en particulier énergétiques, du
Pacifique
à la Méditerranée par les routes de la soie terrestre et maritime
bénéficiant
des derniers progrès de la technologie. Les projets sont déjà en train
de s’élaborer
et par exemple la liaison ferroviaire rapide Pékin-Paris est un projet à
l’étude.
C’est une gigantesque poussée de l’Asie dans la modernité. On voit mal
comment
tous les autres pays de l’Asie y échapperont d’une façon ou d’une autre,
les
uns après les autres, malgré les efforts des États-Unis pour faire
signer l’accord
de partenariat trans-pacifique (TPP), équivalent au TIPP pour l’UE, que
Donald
Trump veut d’ailleurs abandonner.
Mais
il n’y a pas que cet aspect de création d’un bloc d’États indépendants où la
présence de trois pays puissants, le trio Russie-Chine-Inde, garantit sa
multipolarité au contraire du bloc occidental sous la coupe économique et
militaire des États-Unis qui gèrent des vassaux. Le système monétaire mondial
est à bout de souffle avec une dette mondiale abyssale qui aurait dépassé les
60.000 milliards de dollars selon « The Economist » et l’introduction
du renminbi (yuan chinois) comme monnaie de réserve signe la fin de la
domination du dollar. Mais l’Europe, et la France que deviennent-elles dans
tout ça ? Nous allons en parler dans les prochains articles.
Nous vivons une époque charnière qui va
changer le monde.
Celle des hégémonies, française, puis
britannique,
Et depuis la fin de la seconde guerre
mondiale
Celle de l’hégémonie américaine contrée
Par une bipolarité pendant un temps
Seulement provisoire, prend fin !
Claude
Trouvé
Coordonnateur
MPF du Languedoc-Roussillon