Le marché a déjà donné son verdict. Les états européens
doivent désormais emprunter à des taux très différents. Le trio Allemagne,
Pays-Bas, Finlande creuse l’écart avec le trio Grèce, Espagne, Italie. Cette
différence est dénommée « spread ». Si le taux d’intérêt sur les
obligations à 10 ans monte à 7,35 % pour l’Espagne et tombe à 1,21 % pour
l’Allemagne, le « spread » sera dit de « 614 points de base » (735 –
121 = 614).
Dans l’esprit normal des prêts, disons dans l’esprit des
conventions européennes, le taux d’intérêt se justifie par une notion de risque
basée sur deux considérations. D’une part le fait de prêter de l’argent sur une
durée bloquée, dit « risque de liquidité », signifie que l’on peut
avoir besoin de cet argent durant la période de blocage. D’autre part l’emprunteur
peut être dans l’impossibilité de rembourser le prêt, il y a donc un « risque
de défaut. »
Ces deux considérations, considérées normales à l’intérieur
de la zone euro, n’avaient pas avant 2008 généré de grands écarts de « spread »
car l’euro était le ciment de confiance de la zone vis-à-vis des marchés. Mais
une autre considération, qui est un peu liée aux deux précédentes, est la
notion de variation de valeur des obligations européennes souveraines entre
elles et par rapport aux américaines. Autrement dit, elles ne sont plus
interchangeables que si les taux d’intérêt sont le reflet d’une différence de
valeur.
C’est la notion de « risque de convertibilité » qui
est le reflet de différences de monnaie obligataire donc finalement de monnaies
nationales. Les marchés ont donc anticipé l’éclatement de l’euro et le retour à
des monnaies nationales déjà réalisé « ipso facto ». Cette évidence
est apparue clairement aux spécialistes anglo-saxons de la presse financière
lors de la dernière intervention de Mario Draghi, le patron de la BCE.
La presse française n’a retenu, dans cette déclaration faite
dans le but de rassurer les marchés, que l’affirmation de l’euro irréversible.
Mais pour la première fois « le risque de convertibilité » a été
évoqué d’une façon assez incompréhensible pour les profanes :
« Il y a ensuite une autre dimension à cette
question, qui concerne les primes facturées sur les emprunts d’États
souverains. Comme je l’ai déjà dit, ces primes correspondent au risque de
défaut et au risque de liquidité. Mais, elles correspondent aussi au risque de
convertibilité. Maintenant, dans la mesure où ces primes n’ont pas de rapport
avec des facteurs inhérents à ma contrepartie – elles viennent dans notre
mandat. Elles concernent notre mission. »
Ces propos ont fait beaucoup de bruit à l’intérieur de la BCE. C’est en
effet l’aveu que l’euro est devenu de fait une monnaie commune et non plus unique
et que les monnaies nationales sont revenues, même si les pièces et billets ne
circulent pas encore. Le Wall Street Journal publie d’ailleurs :
« M. Draghi a identifié trois composantes du risque
qui fixe les taux d’intérêt sur les obligations souveraines : le risque de
crédit, le risque de liquidité et le « risque de convertibilité »,
c’est-à-dire le risque de change associé à la possibilité d’un effondrement de
l’euro. »
La même opinion est exprimée par le Financial Times :
« Mais M. Draghi a identifié une autre dimension,
qui intervient dans la fixation des rendements obligataires des gouvernements
frappés par la crise : c’est le risque « de convertibilité », celui d’une
possible rupture de la zone euro, conduisant à la redénomination des
obligations dans une autre monnaie, plus faible, que l’euro. »
Il est évident que si la zone euro n’a pas les moyens
politiques, structurels et financiers pour remettre tous les pays sur un pied d’égalité
vis-à-vis des marchés, l’euro est condamné. Mais ceci suppose une politique vigoureuse
de planche à billets de la BCE, non prévue dans les traités bien que déjà
pratiquée, qui affaiblira l’euro par rapport au dollar et créera de l’inflation.
L’autre possibilité étant que les moins pauvres payent pour les plus pauvres.
Le consensus nécessaire des pays européens est loin d’être
acquis pour l’une ou l’autre de ces solutions. Le seul qui se dégage est la
sortie de la Grèce de l’euro…. Un premier pas vers son éclatement.
Il ne suffit plus de couper
les branches malades de l’arbre
Ni de l’arroser de plus
en plus souvent
Quand le sol ne peut pas le
nourrir.
Claude Trouvé
Coordonnateur MPF du Languedoc-Roussillon