Jamais notre pays ne s’est trouvé dans une situation aussi périlleuse depuis les années 30. Les personnes de mon âge, qui ont vécu, en culotte courte, la deuxième guerre mondiale et qui ont eu maintes occasions d’être informés par les adultes de l’époque, ont de fortes raisons de revivre les prémisses d’évènements mondiaux aux allures inquiétantes. L’histoire ne se répète jamais exactement mais elle ressuscite toujours des schémas anciens sur des évènements nouveaux comme celui où la meilleure défense est toujours l’attaque. Nous l’avons vérifié à nos dépens avec la ligne Maginot.
Résumons donc un peu de l’histoire économique de l’avant-guerre. En 1931-1932 les Etats-Unis et l’Allemagne sont au plus mal avec respectivement 36% et 44% de chômeurs. En France comme dans le monde 1931 est vraiment l’année noire et le chômage atteint 15%. L’Angleterre, au cœur de la dépression de 1929, s’est sortie de la crise en dévaluant mais plombe l’économie française. En 1932 le gouvernement Laval tombe et la France met un an pour digérer la concurrence anglaise. C’est alors qu’en 1933 les Etats-Unis dévaluent. La France se retrouve avec une monnaie surévaluée de 25 à 30%, les déficits publics s’aggravent, l’économie replonge.
Gaston Doumergue engage le pays dans une forme de déflation par une suite de décrets lois (4 avril et 14 avril 34) qui prévoient une réduction des effectifs de fonctionnaires et la baisse des salaires nets par l’instauration d’un prélèvement de 5 %. Paul Reynaud préconise une politique différente. Notant que toute l’affaire est liée au différentiel des prix entre la France et les marchés internationaux, il propose une dévaluation adaptée pour rétablir les équilibres sans passer par les souffrances de la déflation. Ce genre de débat ne date donc pas d’aujourd’hui.
Le gouvernement belge se résout à dévaluer de 28 % le 2 avril 1935 et met de nouveau la France dans une position intenable. Le nouveau gouvernement Laval, muni de pouvoirs exceptionnels, promeut 29 décrets-lois qui ont pour but de réduire les dépenses publiques drastiquement (-10 %) en baissant autoritairement le coût de la dette, les salaires des fonctionnaires, les diverses subventions, tout en augmentant massivement les impôts : la tranche haute est majorée de 50 %. Simultanément les prix de nombreux produits et le prix des services (loyers, énergie électrique) sont baissés de 10 %. Cela vous ramènerait-il à l’actualité ?
Entre l’été et l’automne 1935 deux autres trains de mesures sont pris par décret. Le dernier contient des mesures tous azimuts portant aussi bien sur la formation des chômeurs, l’organisation de la recherche scientifique, la réforme des assurances sociales, la suppression des heures supplémentaires etc. Quand je vous disais que l’on n’invente rien.
Dans le même temps la Banque de France déverse des liquidités à tout va (de la « monnaie de singe »). La production industrielle redécolle mais le chômage stagne à son plus haut niveau avec une durée du travail qui s’accroît et les prix sont à la hausse. Les exportations baissent. Les ligues d’extrême-droite se déchaînent. Avec le chômage et la hausse des prix, ils engendrent le Front Populaire. Les salaires sont augmentés de 7 à 15%, les licenciements sont soumis à l’autorisation de l’Etat, la durée du travail passe de 48 à 40 heures et les congés sont payés sur 15 jours.
Les prix à la consommation s’envolent sur un rythme annuel de 17,5 %, deux fois plus vite que les prix de gros. On instaure un contrôle des prix. La pression sur la monnaie est maximum. Léon Blum refuse la dévaluation. Pourtant le 26 septembre le franc Poincaré disparaît avec une dévaluation annoncée de 25 à 35%. La Suisse et la Hollande dévaluent également. En trois mois la production industrielle bondit de 12%, les exportations croissent et le chômage diminue mais les prix à la consommation augmentent de 17%.
Cette envolée dure jusqu’en décembre 1937. L’économie mondiale est pourtant repartie à la baisse. Début 1938 la production industrielle s’effondre et le chômage explose ainsi que le Front Populaire. Dès avril 1938, Edouard Daladier et Paul Reynaud donnent une accélération à des réformes d’esprit libéral. La menace allemande se précisant il faut relancer la production industrielle. Les 40 heures sont assouplies ainsi que le contrôle des prix. On fait appel à l’épargne pour les dépenses publiques. L’économie repart fortement mais la guerre arrive…
Nous parlerons de la similitude avec la situation d’aujourd’hui dans une prochaine chronique mais elle transparaît déjà à la simple lecture de l’histoire qui se termine mal.
Et si l’histoire se répétait avec un bruit de guerre mondiale ?
Claude Trouvé
Coordonnateur du Languedoc-Roussillon