dimanche 27 mai 2018

Poutine prône la mondialisation réglementée


La rencontre Macron-Poutine à Saint-Pétersbourg, les 25 et 26 mai à l’occasion d’un Forum Économique International a laissé peu de traces dans les principaux médias français focalisés sur le scénario SNCF, dont la partition est écrite pour une concertation excluant de fait toute discussion sur les visées d’ouverture à la concurrence et de rabotage des régimes spéciaux demandés par Bruxelles. Comme prévu, la dernière cartouche lancée par le gouvernement est la reprise de 35 milliards de la dette d’ici 2022. Après l’accord de Bruxelles, évidemment confidentiel, le gouvernement peut nous faire gober que la dette et le déficit n’en seront pas affectés. Apparemment cette grossière entourloupe passe comme une lettre dans les trains postaux. C’est dire à quel point en est arrivée l’opinion générale de nos compatriotes. Comme disait Goebbels : « Plus le mensonge est gros, plus il passe ».

Mais revenons à ces journées mémorables de la rencontre Macron-Poutine. Leur importance a échappé à l’ensemble des commentateurs politiques, elles ont pourtant mis en lumière des positions géopolitiques de première importance faisant suite aux prises de position de Trump sur le commerce international dans le cadre habituel de l’hégémonie américaine. Dans mes deux articles précédents j’ai montré le changement de paradigme exprimé par Macron à Saint-Pétersbourg et par Dominique De Villepin devant Bourdin. Chez les deux d’une façon explicite ou implicite les mots « souveraineté » et « multilatéralisme » étaient omniprésents. C’est l’association de ces deux mots qui est la plus nouvelle dans la politique française menée depuis le Général De Gaulle. Souvenons-nous de l’ouverture vers la Chine faite par ce dernier dont l’attachement au souverainisme n’est plus à démontrer. 

Mais si l’on trouve quelques commentaires, d’ailleurs la plupart sans intérêt sur le discours de Macron, ceux-ci ont complètement occulté l’intervention de Poutine. Or elle est de la plus grande importance et montre une hauteur de vue caractéristique de tous les discours de Poutine à portée internationale. De toute évidence la remise en cause par Trump de l’accord nucléaire avec l’Iran a servi de détonateur à un discours apparemment surprenant de Poutine. Inconsciemment nous restons accrochés à une vision soviétique d’une économie fermée sur elle-même même si l’on constate un changement. Mais de là à penser que Poutine, comme Xi en d’autres circonstances, puisse s’affirmer comme un ardent défenseur du libre-échange mondial et de la libre concurrence, c’était moins facilement prévisible.

« L’économie mondiale est confrontée à une menace de mesures protectionnistes en spirale qui peuvent conduire à une crise dévastatrice, a averti Vladimir Poutine. Les nations doivent trouver un moyen de prévenir cela et d'établir des règles sur la façon dont l'économie devrait fonctionner. » 

Le président russe s'est prononcé contre la tendance croissante à utiliser des restrictions unilatérales pour obtenir un avantage économique. « Le système de coopération multilatérale, qui a pris des années à se construire, n'est plus autorisé à évoluer. Il est brisé d'une manière très grossière. Briser les règles devient la nouvelle règle », a-t-il déclaré. « En plus des formes traditionnelles de protectionnisme telles que les tarifs commerciaux, les normes techniques et les subventions, les nations utilisent de plus en plus de nouveaux moyens pour saper leur concurrence, comme des sanctions économiques unilatérales. Et les pays qui pensaient qu'ils ne seraient jamais visés par de telles mesures pour des raisons politiques s’aperçoivent qu’ils se sont trompés », a observé Poutine. C’est une attaque en règle contre les sanctions, les droits de douane, les subventions, toutes opérant une distorsion de libre concurrence. Mais il est encore plus explicite :


« La capacité d'imposer des sanctions arbitrairement et sans contrôle alimente la tentation d’en user toujours plus et de plus en plus, dans tous les sens, à droite et à gauche, sans distinction de loyauté politique, de solidarité, d'accords passés et de coopérations établies. »
 
Il s’agit d’une attaque globale sur le monde atlantiste, dont Macron fait partie, prônant des sanctions sur la Russie et l’Iran comme sur Cuba. Alors que veut Poutine ? Poutine a exhorté les acteurs économiques et les pays impliqués à un changement d’orientation, pour la défense du libre-échange et l’établissement d’une réglementation de l'économie mondiale fondée sur des mesures qui auraient la capacité d’atténuer et de réguler le chaos résultant des transformations technologiques rapides qui sont la conséquence du développement de la technologie numérique. Cette prise de position est particulièrement intéressante et ouvre une voie d’apaisement des tensions économiques et militaires sans remettre en cause la mondialisation, système préexistant depuis la nuit des temps mais prenant une dimension spatio-temporelle à l’image des progrès technologiques raccourcissant les temps et les distances. 

Le libéralisme est décrié en raison de ses débordements et son oubli de répartition des richesses, mais en fait on stigmatise l’ultra-libéralisme devenu tout proche du capitalisme où l’humain disparaît derrière le profit. Mais le libéralisme a toujours existé et est le moteur de l’économie, comme l’est l’assemblage de tubes nucléaires dans la cuve d’un réacteur responsable de la production d’énergie. L’absence de barres de contrôle dans la cuve conduirait inévitablement à faire « diverger » le réacteur, donc conduirait à la fonte ou l’explosion de la cuve et à la catastrophe nucléaire. Il en est de même pour le libéralisme, comme pour sa mondialisation, celui-ci doit être contrôlé pour éviter sa dérive. C’est cela la proposition novatrice de Poutine, conscient de la nécessité du libéralisme et de la libre-concurrence, mais aussi des dérives possibles. Il montre aussi bien les excès du protectionnisme, capable de menacer la paix du monde, que la nécessaire concertation des pays pour établir un protocole de bonne conduite de la mondialisation. C’est donc une vision fondatrice d’une nouvelle géopolitique mondiale.

« Le mépris des normes existantes et la perte de confiance qui en résulte peuvent se combiner avec l’imprévisibilité et la turbulence des changements colossaux en cours. Ces facteurs peuvent conduire à une crise systémique, d’une ampleur que le monde n’a jamais connue. » « Nous n'avons pas besoin de guerres commerciales aujourd'hui ni même de cessez-le-feu commercial temporaire. Nous avons besoin d'une paix commerciale globale », a souligné le président russe. « La concurrence avec les conflits d'intérêts a toujours existé, existe et existera toujours, bien sûr. Mais nous devons être respectueux les uns envers les autres. La capacité de résoudre les différends par une concurrence honnête plutôt que par la restriction de la concurrence est la source de progrès. » 

Évidemment Poutine cible les sanctions ou d’autres menaces punitives lancées sur de nombreux pays dont la Russie, l’Iran et la Corée du Nord. Mais il nous fait comprendre la différence entre les deux termes de « mondialisation » et de « globalisation ». Au contraire de la mondialisation, la globalisation n’a rien à faire de la souveraineté des nations. Il y règne l’idée d’une optimisation globale du profit gommant les nations et donnant au plus fort le droit de fixer les règles à son profit, incluant l’ingérence militaire partout dans le monde si besoin, et l’imposition de mesures punitives et de normes à respecter. C’est exactement les fondements de l’hégémonie américaine.
 
Parmi les grands dirigeants actuels, Poutine sort du lot. 

Souverainiste patenté, il tente d’ouvrir le monde

Sur une concurrence loyale et règlementée 

En dédiabolisant une mondialisation

Dévoyée en une globalisation 

À caractère hégémonique.
 
Claude Trouvé 
27/05/18

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