La rencontre
Macron-Poutine à Saint-Pétersbourg, les 25 et 26 mai à l’occasion d’un Forum
Économique International a laissé peu de traces
dans les principaux médias français focalisés sur le scénario SNCF, dont la
partition est écrite pour une concertation excluant de fait toute discussion
sur les visées d’ouverture à la concurrence et de rabotage des régimes spéciaux
demandés par Bruxelles. Comme prévu, la dernière cartouche lancée par le
gouvernement est la reprise de 35 milliards de la dette d’ici 2022. Après l’accord
de Bruxelles, évidemment confidentiel, le gouvernement peut nous faire gober que
la dette et le déficit n’en seront pas affectés. Apparemment cette
grossière entourloupe passe comme une lettre dans les trains postaux. C’est
dire à quel point en est arrivée l’opinion générale de nos compatriotes. Comme
disait Goebbels : « Plus le
mensonge est gros, plus il passe ».
Mais revenons à ces
journées mémorables de la rencontre Macron-Poutine. Leur importance a échappé à
l’ensemble des commentateurs politiques, elles ont pourtant mis en lumière des
positions géopolitiques de première importance faisant suite aux prises de
position de Trump sur le commerce international dans le cadre habituel de
l’hégémonie américaine. Dans mes deux articles précédents j’ai montré le
changement de paradigme exprimé par Macron à Saint-Pétersbourg et par Dominique
De Villepin devant Bourdin. Chez les deux d’une façon explicite ou implicite
les mots « souveraineté » et « multilatéralisme »
étaient omniprésents. C’est l’association de ces deux mots qui est la plus
nouvelle dans la politique française menée depuis le Général De Gaulle.
Souvenons-nous de l’ouverture vers la Chine faite par ce dernier dont l’attachement
au souverainisme n’est plus à démontrer.
Mais si l’on trouve quelques
commentaires, d’ailleurs la plupart sans intérêt sur le discours de Macron,
ceux-ci ont complètement occulté l’intervention de Poutine. Or elle est de la
plus grande importance et montre une hauteur de vue caractéristique de tous les
discours de Poutine à portée internationale. De toute évidence la remise en cause
par Trump de l’accord nucléaire avec l’Iran a servi de détonateur à un discours
apparemment surprenant de Poutine. Inconsciemment nous restons accrochés à une vision
soviétique d’une économie fermée sur elle-même même si l’on constate un
changement. Mais de là à penser que Poutine, comme Xi en d’autres circonstances,
puisse s’affirmer comme un ardent défenseur du libre-échange mondial et de la
libre concurrence, c’était moins facilement prévisible.
« L’économie mondiale est confrontée à une
menace de mesures protectionnistes en spirale qui peuvent conduire à une
crise dévastatrice, a averti Vladimir Poutine. Les nations doivent trouver
un moyen de prévenir cela et d'établir des règles sur la façon dont
l'économie devrait fonctionner. »
Le
président russe s'est prononcé contre la tendance croissante à utiliser des
restrictions unilatérales pour obtenir un avantage économique. « Le système de coopération multilatérale, qui
a pris des années à se construire, n'est plus autorisé à évoluer. Il est brisé
d'une manière très grossière. Briser les règles devient la nouvelle règle »,
a-t-il déclaré. « En plus des formes
traditionnelles de protectionnisme telles que les tarifs commerciaux, les
normes techniques et les subventions, les nations utilisent de plus en plus de
nouveaux moyens pour saper leur concurrence, comme des sanctions économiques
unilatérales. Et les pays qui pensaient qu'ils ne seraient jamais visés par de
telles mesures pour des raisons politiques s’aperçoivent qu’ils se sont trompés »,
a observé Poutine. C’est une attaque en règle contre les sanctions, les droits
de douane, les subventions, toutes opérant une distorsion de libre concurrence.
Mais il est encore plus explicite :
« La capacité d'imposer des sanctions arbitrairement et sans contrôle alimente la tentation d’en user toujours plus et de plus en plus, dans tous les sens, à droite et à gauche, sans distinction de loyauté politique, de solidarité, d'accords passés et de coopérations établies. »
Il s’agit
d’une attaque globale sur le monde atlantiste, dont
Macron fait partie, prônant des sanctions sur la Russie et l’Iran comme sur
Cuba. Alors que veut Poutine ? Poutine a exhorté les acteurs économiques
et les pays impliqués à un changement d’orientation, pour la défense du
libre-échange et l’établissement d’une réglementation de l'économie mondiale
fondée sur des mesures qui auraient la capacité d’atténuer et de réguler le
chaos résultant des transformations technologiques rapides qui sont la conséquence
du développement de la technologie numérique. Cette prise de position est
particulièrement intéressante et ouvre une voie d’apaisement des tensions économiques
et militaires sans remettre en cause la mondialisation, système préexistant depuis
la nuit des temps mais prenant une dimension spatio-temporelle à l’image des
progrès technologiques raccourcissant les temps et les distances.
Le
libéralisme est décrié en raison de ses débordements et son oubli de
répartition des richesses, mais en fait on stigmatise l’ultra-libéralisme
devenu tout proche du capitalisme où l’humain disparaît derrière le profit.
Mais le libéralisme a toujours existé et est le moteur de l’économie, comme l’est
l’assemblage de tubes nucléaires dans la cuve d’un réacteur responsable de la
production d’énergie. L’absence de barres de contrôle dans la cuve conduirait
inévitablement à faire « diverger » le réacteur, donc conduirait à la
fonte ou l’explosion de la cuve et à la catastrophe nucléaire. Il en est de
même pour le libéralisme, comme pour sa mondialisation, celui-ci doit être
contrôlé pour éviter sa dérive. C’est cela la proposition novatrice de Poutine,
conscient de la nécessité du libéralisme et de la libre-concurrence, mais aussi
des dérives possibles. Il montre aussi bien les excès du protectionnisme,
capable de menacer la paix du monde, que la nécessaire concertation des pays
pour établir un protocole de bonne conduite de la mondialisation. C’est donc une
vision fondatrice d’une nouvelle géopolitique mondiale.
« Le mépris des normes existantes et la perte
de confiance qui en résulte peuvent se combiner avec l’imprévisibilité et la
turbulence des changements colossaux en cours. Ces facteurs peuvent conduire à une
crise systémique, d’une ampleur que le monde n’a jamais connue. » «
Nous n'avons pas besoin de guerres
commerciales aujourd'hui ni même de cessez-le-feu commercial temporaire. Nous
avons besoin d'une paix commerciale globale », a souligné le président russe.
« La concurrence avec les conflits
d'intérêts a toujours existé, existe et existera toujours, bien sûr. Mais nous
devons être respectueux les uns envers les autres. La capacité de résoudre les
différends par une concurrence honnête plutôt que par la restriction de la
concurrence est la source de progrès. »
Évidemment Poutine
cible les sanctions ou d’autres menaces punitives lancées sur de nombreux pays dont
la Russie, l’Iran et la Corée du Nord. Mais il nous fait comprendre la différence
entre les deux termes de « mondialisation » et de « globalisation ».
Au contraire de la mondialisation, la globalisation n’a rien à faire de la
souveraineté des nations. Il y règne l’idée d’une optimisation globale du
profit gommant les nations et donnant au plus fort le droit de fixer les règles
à son profit, incluant l’ingérence militaire partout dans le monde si besoin,
et l’imposition de mesures punitives et de normes à respecter. C’est exactement
les fondements de l’hégémonie américaine.
Parmi les grands dirigeants actuels,
Poutine sort du lot.
Souverainiste patenté, il tente d’ouvrir
le monde
Sur une concurrence loyale et règlementée
En dédiabolisant une mondialisation
Dévoyée en une globalisation
À
caractère hégémonique.
Claude Trouvé
27/05/18
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