C’est un véritable coup
de théâtre démocratique asséné à l’Union Européenne par l’Italie lors des élections
générales du 4 mars, et par son futur gouvernement. Avec l’aide de Berlusconi intervenant
lors de la « Journée de l’Europe »
du 9 mai, l’alliance improbable entre le Mouvement 5 Étoiles et la Ligue est
scellée et un programme de gouvernement a été présenté au Président de la République
Italienne, dont on voit mal comment il pouvait le refuser sauf à plonger le
pays dans une crise institutionnelle et à organiser de nouvelles élections. Il
reste à nommer un chef de ce gouvernement, le point pouvant amener les discussions
les plus sérieuses. Mais le cap est clairement exprimé, le prochain gouvernement
sera profondément « antisystème ».
C’est le scénario le plus cauchemardesque pour l’UE.
Si
la Ligue du Nord avec 18% des voix a devancé les 13% de Forza Italia de Berlusconi,
le M5S est l’autre grand gagnant de ces élections pour être arrivé en tête du
scrutin, avec près de 32% des voix. Ce dernier
est un parti « inclassable » et « populiste », fondé par le comique Beppe
Grillo et dirigé par le jeune Luigi di Maio. On voit que ce parti équilibre le
score des droites et a rendu longues les tractations, mais pour l’avenir il
garantit une vision unique sur l’essentiel, la volonté de reprise en main des
affaires italiennes face à l’UE et ses contraintes. En effet la troisième
grande force du paysage politique, le Parti démocrate (PD, souvent étiqueté « centre-gauche
»), est sortie laminée des urnes, avec 19% des suffrages. Le PD a payé ainsi
ses années de pouvoir, notamment sous la coupe de Matteo Renzi (2014-2016) qui
avait mis en œuvre à marche forcée les réformes attendues par Bruxelles (loi
travail notamment). L’Italie tourne donc résolument la page confirmant la
montée europhobe de l’opinion italienne dans un pays qui prend le chemin de la
Grèce.
Beaucoup
des mesures envisagées sont de nature à faire exploser l’orthodoxie budgétaire
indissociable de la monnaie unique, même si elles ont un côté bric-à-brac dû à
l’attelage disparate de l’alliance. Mais les deux forces ont, en quelques jours,
dégagé des axes communs. Cela va du revenu minimum (dit « de citoyenneté ») à
une remise en cause de la réforme, très impopulaire des retraites, imposée par
Bruxelles, en passant par la baisse des impôts ou… la fin de la vaccination
obligatoire. Le durcissement des lois migratoires – une question qui avait été
centrale lors de la campagne électorale – fait également consensus entre les
deux formations. Il reste à désigner un chef de gouvernement, car, pour faciliter
les choses, les leaders de ces partis ont accepté de faire un « pas de côté »
en renonçant chacun à diriger le futur gouvernement.
Bruxelles
lève les bras au ciel, invoquant le fait qu’une fois dans l’euro et l’UE, les
peuples n’ont plus le droit de s’élever contre les directives européennes. Nul
doute que Bruxelles va essayer de rééditer le coup de la Grèce avec la rentrée
dans le rang de Tsipras. Mais l’Italie, la troisième économie de l’UE, une fois
le Brexit réalisé, n’est pas la Grèce et le poids de sa dette est sans comparaison.
De plus les nouveaux dirigeants italiens sont ainsi avertis de ce qui les
attend. La dette est bien la grande peur de l’UE, d’autant plus que la future
coalition gouvernementale italienne a annoncé des mesures anti-austérité qui ont
notamment fait réagir le ministre français de l'Economie et des Finances. S’il
est allé de son couplet de mise en garde sur des mesures qui augmenteraient la
dette, c’est dans la crainte d’une sortie de l’euro entraînant une participation
de l’ensemble des pays de la zone euro, la France étant alors le deuxième
contributeur.
Le nouveau
gouvernement italien fait le constat sur l’échec des mesures d’austérité imposées
par Bruxelles et estime voir l’Allemagne s’engraisser au détriment des pays du
sud. En conséquence il prône un changement radical de cap, demandant un retour financier
vers l’Italie sous peine de laisser filer la dette. Le coup de menton de Bruno
Lemaire est d’autant plus incongru que la France n’honore toujours pas son
engagement d’une dette inférieure à 60% du PIB et continue à la creuser avec un
déficit en augmentation même si le ratio déficit/PIB est passé au-dessous des
3% contractuels. La réponse de Matteo Salvini, leader de la Ligue du Nord, ne s’est
pas fait attendre et c’est une réponse indiquant à la France que la « stabilité
financière de l’euro » n’est plus un souci de l’Italie. Il a
repris le slogan de Trump, l’Italie d’abord ! Autrement dit, si vous
continuez à nous ennuyer avec ça, nous verrons si rester dans l’euro nous
convient. D’ailleurs on sait que les réflexions sur une monnaie intérieure
accrochée à l’euro est envisagée. Ce serait un premier pas et un avertissement.
Non
seulement l’Italie dit à Bruno Lemaire de s’occuper de ses affaires mais il
réaffirme : « Nous ferons le contraire de ce que les gouvernements précédents ont
fait. » Si le Brexit secoue l’UE, même si elle commence à en prendre
son parti en souhaitant au Royaume-Uni de se casser la figure pour revenir la queue
basse, l’Italie, pays fondateur, ébranle non seulement la zone euro mais toute
l’UE. Or celle-ci craque d’un peu partout avec une zone centrale en pleine révolte,
Hongrie et Pologne en tête. L’attitude fédéraliste de Macron est attaquée de
front, d’où la réaction vive suggérée à notre Ministre des Finances pour ne pas
être en première ligne. En particulier sa grande idée de mutualisation de la
dette se retourne contre lui quand il parle à l’Allemagne dont c’est la crainte
principale. Déjà en opposition avec l’Allemagne et ses satellites, peu prisé des
pays de l’Europe centrale, Macron a perdu beaucoup de billes et le couple
franco-allemand est tiraillé. Si l’Italie dit l’Italie d’abord, il y a
longtemps que l’Allemagne tient le même discours l’Allemagne d’abord et montre
son peu d’appétit pour la solidarité européenne.
Il
faut bien comprendre l’importance de la position italienne dans les réflexions
allemandes, principale contributrice au budget européen et aux engagements dans
les mécanismes de solidarité. L’Allemagne va bien économiquement mais l’avenir
s’annonce plus incertain avec une montée spectaculaire du poids des retraites
dans un pays en baisse démographique depuis longtemps. Par ailleurs elle a
imposé un euromark avantageux pour son économie appuyée sur des pays satellites
à bas salaire, servant de producteurs et de consommateurs, et une industrie
lourde sans concurrence. Mais l’Italie vient conforter l’idée allemande selon laquelle
l’euro n’est intéressant que tant qu’il n’entraîne pas l’Allemagne à devoir
supporter financièrement ses voisins. L’accumulation de créances à la
Bundesbank en centaines de milliards provenant de l’Italie peuvent rapidement
devenir non recouvrables mettant l’Allemagne en péril. L’Allemagne sera
peut-être la première à casser la baraque et l’idée de créer la clause,
volontairement oubliée, de sortie de l’euro fait son chemin !
La
zone euro entre en grande turbulence, mais cela touche aussi l’UE et la France ne
pourra pas compter vraiment sur la soi-disant alliance allemande. Plus les
temps sont durs, plus l’alliance se délite. La France recule toujours par
rapport à la moyenne européenne pour sa croissance, elle creuse son déficit
budgétaire et commercial, elle garde un taux de chômage élevé et les mesures d’austérité
ne cessent de tomber sous forme de taxes et de retenues. Chaque mois, si ce n’est
pas chaque semaine, Bercy trouve un nouveau moyen de ponctionner de l’argent
comme l’augmentation de la taxe sur les mutations… pour aider les départements
dont on augmente les responsabilités en rognant les dotations de l’État. D’ores
et déjà avec la position italienne, la France peut s’apprêter à payer les pots
cassés… à moins de sortir de l’UE et de l’euro.
Nombreux sont ceux qui ont prédit la fin
de l’euro
Tous se sont trompés sur la date de
celle-ci.
Mais cette fois ce n’est plus l’euro
Qui est en phase terminale
Mais l’idée fédéraliste
De l'impossible UE.
Claude Trouvé
21/05/18
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire