vendredi 3 novembre 2017

Indépendance et autonomie, deux sources de conflits (Suite)



Dans l’article précédent l’actualité sur la Catalogne a permis de reporter l’éclairage sur un conflit proche de nous et non réglé où l’autonomie donnée par la Serbie s’oppose à l’indépendance réclamée par le gouvernement kosovar. Dans les deux cas un référendum non autorisé a donné le soutien apparent à celui-ci. Dans les deux cas une partie de la population n’accepte pas cette sortie hors d’un pays souverain reconnu par l’ONU. A la différence de la Catalogne, la dizaine d’années écoulées pour le conflit Serbie-Kosovo, a permis au gouvernement kosovar de faire fuir une partie de la population serbe augmentant ainsi son assise pour réclamer l’indépendance. Ce conflit n’est toujours pas réglé parce que les Etats-Unis ont toujours la mainmise sur cette zone européenne de l’Est et ceci d’autant plus que la Serbie orthodoxe lie des contacts historiques avec la Russie. L’intégration du Monténégro, autrefois rattaché à la Serbie, à l’OTAN avant son entrée dans l’UE est un signe qui ne trompe pas.

Mais dans le même ordre d’idées, en s’éloignant un peu vers l’Est on retrouve un autre conflit aussi purulent, celui de la Géorgie face à ses deux oblasts, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Là aussi les Etats-Unis et l’UE attisent le feu. Le premier cherche par tous les moyens à s’implanter militairement au plus près de la Russie, et le second fait valoir que la Géorgie est européenne ayant donc droit à l’entrée dans l’UE donc dans l’OTAN. Un accord d’association a d’ailleurs été signé en 2014 avec celle-ci. Là aussi on retrouve des germes d’extension de conflit, apaisé très provisoirement. La Russie et la Géorgie s'étaient affrontées en août 2008 dans une guerre éclair pour le contrôle de l'Ossétie du Sud. Moscou a reconnu dans la foulée l'indépendance de ce territoire ainsi que de l'Abkhazie, décision qui n'a été suivie que par le Nicaragua, le Venezuela, Nauru et le Vanuatu. En conséquence le reste du monde considère ces deux territoires comme une partie de la Géorgie illégalement occupée par des troupes russes. Les Etats-Unis ne cessent d’évoquer la menace russe malgré les dénégations de Poutine pour justifier leur implantation dans tous les pays d’Europe. 

Depuis plus d’un siècle la Géorgie n’a cessé d’osciller entre autonomie, indépendance et occupation dont allemande et britannique. L'Armée rouge envahit le territoire géorgien en février 1921 et met fin à la République démocratique de Géorgie en mars 1921. Dès 1922 La République socialiste de Géorgie fait partie des trois républiques de la République socialiste fédérative soviétique de Transcaucasie. L’arrivée au pouvoir en 1927 du Géorgien Staline changea son statut et la Géorgie fut la république d’accueil de détente des politiciens soviétiques. Mais à partir de 1970 une opposition nationaliste se développa et en avril 1989 une manifestation antisoviétique fut violemment dispersée par l'armée. Ceci coïncide d’ailleurs avec la politique du chaos et du pourrissement des territoires rebelles à l’influence américaine ou assujettis à l’URSS, politique décidée dans les années 1970 par les Etats-Unis. L’accompagnement des mouvements se dressant contre leur gouvernement est une constante géostratégique que nous retrouvons plus tard en Libye, Syrie, Ukraine, Yémen, Soudan, etc.

Pendant le processus de dislocation de l’URSS, acté le 26 décembre 1991, la Géorgie proclama son indépendance le 9 avril 1991, puis supprima l’autonomie de l’Ossétie du Sud. Il s’ensuivit une période de conflits entre les mouvements nationalistes de l’Abkhazie et d’Ossétie du Sud soutenus logistiquement par la Russie. A partir de 1995 la Géorgie d’Édouard Chevardnadze se tourne progressivement vers l’Occident et conclut une alliance militaire avec les États-Unis. Son successeur, Mikheil Saakachvili, de 2004 à 2013 accentue la politique pro-occidentale et fait évacuer les bases militaires russes. Mais la situation des oblasts sécessionnistes n’est toujours pas réglée et le 8 août 2008 il lance un assaut militaire contre l’Ossétie du Sud qui se défend en appelant l’armée russe. L’armée géorgienne est neutralisée et l’indépendance des deux oblasts Abkhazie et Ossétie du Sud est reconnue par la Russie et cinq autres pays. Les relations avec la Russie sont stoppées et les frontières fermées. Il s’ensuit une période de flottement mais désormais la Géorgie engage une politique étrangère en continuité avec celle des gouvernements précédents (intégration euro-atlantique notamment) mais évitant toute agressivité vis-à-vis de la Fédération de Russie. 

On pourrait croire que tout va bien dans le meilleur des mondes, sauf que le problème de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud n’est toujours pas réglé. Leur indépendance n’est toujours pas reconnue par l’ONU. Le parcours historique récent montre que la rivalité entre une Russie très liée à la Géorgie avec en particulier une Ossétie, russe au Nord, et géorgienne au Sud, et des Etats-Unis et une UE qui attirent vers eux cette ancienne république soviétique, n’est pas prête de s’éteindre. Mais on se trouve devant un problème qui rappelle celui de la Catalogne et des Kurdes avec une partition entre deux ou trois pays souverains et une histoire d’un peuple ou d’une ethnie. Les ossètes forment un peuple vivant dans le Caucase, en Russie et en Géorgie. Ils ont une langue spécifique qui appartient au groupe iranien de la famille des langues indo-européennes. Dès 1991 les Ossètes proclament d'abord leur indépendance et la réunification des deux Osséties. En Ossétie du sud les Ossètes sont très majoritaires par rapport aux géorgiens et ont aussi la double nationalité russe pour la plupart.

On retrouve les stigmates caractéristiques de nombre de conflits dans le monde. L’histoire a créé le peuple des Ossètes et un rattachement russe. L’éclatement de l’URSS n’a pas résolu les oppositions ethniques entre Ossètes et Géorgiens. Bien au contraire il l’a aggravé. Ceux qui pensent que l’éclatement de l’UE en régions donnerait une nouvelle vie paisible à l’UE devraient bien réfléchir avant d’agir. La stabilité d’une réunion de peuples dans l’histoire est très longue à établir mais elle peut se défaire très rapidement. Dès que des prémices de sécession se font jour, des puissances étrangères s’en emparent et leur intérêt n’est pas l’extinction des conflits par la diplomatie mais le pourrissement de la situation. Mais la construction d’un ensemble ayant une chance d’exister pendant une longue période de temps tient à trois facteurs principaux, la langue, les croyances religieuses ou spirituelles, et les frontières naturelles. Si la Russie a pu renaître des cendres de l’URSS, c’est qu’un fort sentiment national s’est nourri de l’emprise de l’église orthodoxe qui a survécu et à la diffusion de la langue russe dans toutes les républiques. 

On voit que l’apprentissage et la pratique de la langue des nouveaux arrivants dans un pays est un passage obligatoire sans lequel aucune assimilation n’est possible. On voit également que la situation mélangeant autonomie et indépendance « contrainte » ne mène à rien. Ces deux constats montrent tout simplement que l’assemblage de nations de langues différentes et d’indépendance dans l’interdépendance signent à terme l’arrêt de mort de l’UE. Quand ? Nul ne le sait, mais le plus tôt possible. Plus son gratte-ciel de nations monte, plus ses fondations le menacent. L’article suivant continuera à regarder les autres régions proches de nous où autonomie et indépendance créent des conflits d’autant plus difficiles à éteindre que des pays étrangers soufflent sur les braises et montrent leur force et non leur diplomatie d’apaisement.
 
Les tentations, de défaire ce que l’histoire 

A eu tant de mal à construire par le sang,

Montrent que ceux qui nous ont vendu 

Une tour de Babel ensachée de rêve

Sur des sables encore mouvants 

Sont soit des irresponsables

Soit des assassins !

Claude Trouvé
03/11/17

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