La
lecture d’un article sur l’utilisation d’obus chargés d’uranium appauvri me
montre qu’une information, suivant la façon dont elle est présentée, peut
devenir une désinformation. Je n’épiloguerai pas sur le fait que l’utilisation
de ces armes est illégale : « En
1996, les Nations Unies ont adopté une résolution aux termes de laquelle les
armes à l’uranium appauvri sont des armes de destruction massive, des armes
illégales au regard de la totalité des lois et des traités internationaux. En
2001, le Parlement européen a adopté une résolution sur l’uranium appauvri.
Notons le 9 janvier dernier, la reconnaissance par la Commission européenne de
la dangerosité de ce produit pour la santé humaine. »
Dont acte, on
peut cependant s’interroger, d’une part sur la violence du discours de Macron
contre la Syrie, enfin contre Bachar el-Assad, soupçonné d’utiliser des gaz de
combat, alors que celui-ci vient de découvrir deux ateliers de fabrication dans
la partie libérée de la Goutha, et d’autre part que des chars Leclerc français
soient équipés de tels obus selon l’article en question sur la dangerosité de
ces armes pour la santé et l’environnement. Pourquoi la France n’est-elle pas
l’objet d’une intervention internationale pour usage illégal d’armes de
destruction massive et la Syrie mise régulièrement au ban des accusés sans
qu’aucune preuve fiable ne vienne donner du corps à cette affirmation comme l’a
reconnu Macron lui-même ?
Mais
cet article propage une confusion entre la dangerosité de l’uranium appauvri
dans des armes et ce qu’il représente réellement dans les utilisations civiles.
C’est comme si on ne faisait pas de différence entre l’utilisation civile et
militaire de la radioactivité, entre les bombes nucléaires et la production
d’énergie électrique. Je me permets donc de fournir un certain nombre
d’informations pour ceux qui ne sont pas des spécialistes dans ce domaine. Tout
d’abord on parle d’uranium appauvri quand la teneur de l’isotope 235U
a un pourcentage de présence dans l’ensemble des isotopes de l’uranium
inférieur à celui qu’il a dans l’uranium naturel Unat, soit 0,72% (Les différents isotopes naturels et
artificiels de l’uranium ne se différencient pas par leurs propriétés chimiques
mais par leurs propriétés physiques dont leur masse et leur radioactivité).
L’uranium naturel contient trois isotopes l’238U pour 99,275%, l’235U
pour 0,72%, et l’234U pour 0,0055%. Ce dernier est donc très peu
présent mais il contient près de 50% de la radioactivité continue dans
l’uranium naturel à égalité avec l’238U mais présent en quantité
20.000 fois plus importante donc 20.000 fois moins radioactif par unité de masse.
On distingue aussi les isotopes par leur facilité à se désintégrer facilement
pour libérer de l’énergie, c’est le cas de l’235U, il est dit
fissile. L’238U, capteur de neutrons, est dit fertile.
La
proportion de l’235U dans l’U naturel n’est pas assez importante
dans les types de réacteurs REP et EPR utilisés en France pour déclencher une
désintégration en chaîne contrôlée qui va produire de la chaleur productrice
ensuite d’électricité dans des alternateurs. On a donc construit une grande
usine d’enrichissement de l’uranium (augmentation de la teneur en 235U),
sur un procédé très consommateur d’énergie électrique, désormais remplacé par
un procédé de centrifugation beaucoup plus économe. Cette usine produit donc
d’une part un uranium enrichi à un bout et à l’autre bout un uranium appauvri à
partie de l’Unat. L’U enrichi en 235U va aller dans les
éléments combustibles mis dans les réacteurs, l’U appauvri en 235U
va être stocké sous forme d’oxyde U3O8, poudre noire stable, dans des
conteneurs sur des parcs du site nucléaire de Pierrelatte principalement. C’est
ce produit qui sort avec la plus grande quantité de l’usine d’enrichissement,
de l’ordre de 10 fois plus que la quantité d’U enrichi.
Mais
il y a une autre sorte d’U appauvri UA, c’est celui qui sort de l’usine de
retraitement des combustibles usés sortis des réacteurs, à une teneur
légèrement supérieure à l’U naturel, de l’ordre de 0,9% en 235U. Cet
uranium est réutilisable s’il repasse dans une usine d’enrichissement. Mais au
passage dans le réacteur des isotopes artificiels ont fait leur entrée : 233U(fertile),
236U (poison neutronique), 232U (émetteur de rayons
gamma). Il est plus difficile à réenrichir car plus radioactif et difficile à
mélanger dans la même installation. La France a négocié des contrats avec la
Russie et les Pays-Bas qui possèdent des installations dédiées et sera capable
de le faire en 2020. Le plutonium et l’uranium, issus du retraitement sont
réutilisés pour partie dans des combustibles MOX sur 20 de nos réacteurs
techniquement aptes et le reste est stocké en piscine à la Hague. On extrait
environ 23 tonnes/an de combustible usé du cœur d’un réacteur à eau
pressurisée, quand son combustible est renouvelé par tiers chaque année. Au
total, sur l’ensemble du parc des 58 réacteurs français, 1200 tonnes sont
déchargées, dont 850 seront retraitées et 350 entreposées. Parmi les 350
tonnes, 135 sont constituées de MOX usé. Donc par an 1065 (850+215) tonnes sont
stockées avec de l’U et du plutonium Pu, dont 1017 tonnes d’U contenant 1002
tonnes d’238U.
Il y
a bien deux sortes d’uranium appauvri (UA) à distinguer mais les quantités en
jeu sont très différentes, l’U appauvri issu de l’enrichissement est de
l’ordre d’un facteur 10 à 20 fois plus important que l’UA issu du retraitement
et stocké. On peut indifféremment utiliser l’un ou l’autre pour les obus
militaires, ils ont les mêmes qualités perforatrices et pyrophoriques, mais
l’UA de retraitement est plus radioactif. Mais ce qu’il faut savoir c’est que
l’UA représente une richesse potentielle considérable pour son utilisation
future dans la fabrication d’électricité. En effet la quatrième génération des
réacteurs nucléaires, celle qui va suivre les réacteurs type EPR de Flamanville,
sera très probablement des réacteurs surgénérateurs, dits aussi réacteurs à
neutrons rapides RNR. Ces réacteurs marcheront avec de l’238U et du 239Pu.
Ils ont la possibilité de transformer l’238U contenu dans l’UA en 239Pu
fissile, donc producteur d’énergie. L’U naturel est actuellement importé et
donc coûteux même si ses cours sont bas actuellement et que ce coût intervient
peu dans le prix du kWh. Par-contre l’UA est stocké sur notre territoire et
nous appartient. Notre usine d’enrichissement produit beaucoup d’UA comme
nous venons de le voir. Nos stocks grossissent tous les ans (272.000 tonnes à
fin 2010) à raison de 9.000 à 10.000 tonnes par an.
De
plus cerise sur le gâteau, les étrangers qui veulent acheter de l’U enrichi
fournissent l’Unat nécessaire mais abandonne l’UA. Nous bénéficions
donc en plus d’238U qui nous arrive du ciel. Si nous savons utiliser
cet UA ne contenant pratiquement que de l’238U, nous disposons de
ressources naturelles énergétiques. Elles multiplieront d’un facteur 60 à 100
les ressources en Unat et également une indépendance énergétique que
nous n’avons dans aucune ressource fossile (charbon, gaz, fioul) ! Par
ailleurs nous déstockons de l’UA et du Pu et libérons des parcs à surveiller.
Enfin l’utilisation du Plutonium Pu a une efficacité supérieure dans ce type de
réacteur à celle des combustibles mixte MOX dans les réacteurs actuels. Cette
technique a été utilisée sur le réacteur Superphénix de 1240MW à Creys-Malville qui a fonctionné
18 mois avant d’être arrêté par Lionel Jospin en décembre 1998 pour raison
politique en profitant de défaillances techniques sur la partie non nucléaire
pour ce prototype. Néanmoins, un surgénérateur comme PHENIX a fonctionné 40 ans
sans accident avant d'être arrêté en 2011.
Cependant
les russes, que nous avions devancés en termes de puissance de réacteur, ont
continué sur cette voie. La Russie en particulier dispose sur le site de
Beloïarsk d'un réacteur BN-600 en exploitation depuis
1980 avec une nouvelle tranche du type BN-800 mise en service en 2015. Un autre
surgénérateur plus puissant du type BN-1200 est également prévu sur ce site
ainsi que deux autres dans l'oblast de Tcheliabink dans le sud de l'Oural. La France
a repris l’étude de la surgénération avec le réacteur de recherche Astrid mais
il est certain que c’est la Russie qui sera le premier pays à exporter ce type
de réacteur, lequel a en plus la propriété de traiter les déchets à vie longue
en en produisant 4 fois moins. C’est une façon élégante de diminuer les stockages
des déchets ultimes des combustibles utilisés dans les réacteurs actuels à
Bure.
Pour
terminer il est bon de rappeler que la stratégie de construction des réacteurs
actuels REP et EPR étaient initialement la préparation de l’étape des réacteurs
surgénérateurs RNR avec la production de Pu dont on gâche actuellement la
puissance énergétique dans les combustibles MOX. C’était encore une époque où l’on
prévoyait loin en matière de politique énergétique. Elle a pris un coup de
soleil sur la tête et s’évapore dans le vent après avoir fait perdre à la France
son avance technologique et la rendre dépendante à terme de la Russie (RNR) et
de la Chine (Terres rares). Autrefois le slogan était : « La
France n’a pas de pétrole mais elle a des idées »
C’était l’idée que la France devait
rester indépendante.
Aujourd’hui la France n’a que les idées
des autres
Et dispose de ressources stockées sur
son sol
Qu’elle a décidé de bouder pour faire
Sa place au soleil et dans le vent
Au prix de son indépendance !
Claude Trouvé
14/03/18
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