Les attaques d'Emmanuel Macron
contre le général Pierre de Villiers ne passent décidément pas. Dans une lettre
ouverte au président que Capital reproduit ci-dessous, 15 hauts gradés de
l'armée ayant quitté le service - dont cinq généraux - clament leur soutien à
l'ancien chef d’État-major et témoignent de leur " blessure profonde ".
Monsieur le Président
C’est au Chef des armées que les
signataires de la présente lettre souhaitent s’adresser. C’est au Chef des
armées qu’ils veulent dire combien ils ont été stupéfaits par son attitude à
l’égard du Chef d’état-major des Armées de la France.
Nous sommes des Officiers de tous
grades et des différentes armées ayant quitté le service actif. Nous n’avons
aucun mandat ; nous ne prétendons pas parler au nom de l’Armée, cette « grande
muette ». Nous estimons en revanche, de notre devoir de vous faire part de
notre indignation et de vous dire ce que beaucoup de nos jeunes camarades, nos
frères d’armes en activité, ressentent sans pouvoir l’exprimer.
L’Armée est peut-être muette,
mais elle n’est ni sourde ni aveugle, ni amnésique. Elle n’a pas été sourde
quand elle a entendu et cru en vos promesses de campagne. Elle n’a pas été
aveugle lorsque votre tout premier geste a été de vous rendre au chevet de ses
blessés. Elle a apprécié le symbole qu’a représenté votre choix d’un véhicule
de commandement le jour de votre prise de fonction, elle a été sensible à
l’image de l’autorité restaurée que vous avez voulu afficher. Tant vos paroles
que les symboles que vous aviez choisis semblaient donc démontrer votre
compréhension des forces armées et la priorité que vous leur accorderiez dans
le contexte actuel.
Mais alors tout cela n’était-il
que promesses, paroles et maniement des symboles ? On est en droit désormais de
se poser la question en entendant les propos que vous avez tenus publiquement à
l’Hôtel de Brienne à l’encontre du Chef d’état-major des armées, à la veille
des cérémonies du 14 juillet. Cela restera longtemps dans les mémoires.
« Je considère pour ma part,
qu’il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique… »
Mais alors est-il vraiment digne
de réprimander, non seulement en public, mais devant ses subordonnés, un grand
chef militaire, au sujet de propos destinés aux membres d’une commission
parlementaire, au cours d’une audition censée être confidentielle ? Le CEMA ne
faisait-il pas son devoir en rendant compte loyalement à la représentation
nationale de l’état des armées ? Cette humiliation publique est une faute,
Monsieur le Président.
« J’ai pris des engagements… »
Mais alors, après avoir prolongé
le CEMA d’une année, ce qu’il a accepté en toute loyauté, précisément pour
mettre en œuvre vos engagements de campagne, pourquoi lui faire grief de
refuser d’endosser vos reniements ? Comment pouvez-vous penser qu’il
accepterait de se soumettre et de perdre ainsi la confiance de ses subordonnées
? Ce reniement est une faute, Monsieur le Président.
« Je suis votre chef... »
Tous les militaires le savent et
ils sont vexés que vous le leur rappeliez. Mais alors, serait-ce que vous en
douteriez vous-même ? Dans ce cas, ce doute vous honorerait car il montrerait
que vous avez senti la différence entre être le chef légal, et être le chef
véritable : celui qui, connaissant le métier des armes, respecte ses hommes et en
retour se fait aimer d’eux ; celui qui, parce qu’il a d’abord commencé par
obéir, a appris à commander. Si votre jeunesse est une excellente chose, elle
ne vous a pas apporté l’expérience du Service sous les armes. Personne ne vous
le reproche, mais ceci implique un minimum d’humilité : commander n’est pas «
manager ». Ce défaut d’humilité est une erreur, Monsieur le Président.
« Les engagements que je prends
devant nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir… »
Nous ne demandons qu’à le croire,
mais pour l’instant vous ne les tenez pas, et nos ennemis eux, ne vont pas
attendre une année supplémentaire pour frapper les nôtres. Quant à l’argument
consistant à dire au pays que la coupe budgétaire annoncée n’aura aucune
incidence sur la vie de nos soldats, il est fallacieux et vous le savez. Il a
été utilisé par vos prédécesseurs depuis des décennies et il est la cause des
nombreux retards, diminutions, voire annulation de programmes, responsables du
délabrement actuel de nos matériels ; situation que nos hommes vivent durement
au quotidien, en conditions de guerre. En réalité vous mettez nos armées dans
une situation encore plus tendue, vous le savez et vous manipulez la vérité.
Cette manipulation est une faute Monsieur le Président.
« Je n’ai, à cet égard, besoin de
nulle pression et de nul commentaire »
Considéreriez-vous donc comme une
« pression » ou un « commentaire » le compte-rendu que le Chef d’état-major a
présenté en toute vérité et loyauté à la commission parlementaire ? Le CEMA ne
doit-il adresser à la représentation nationale que des propos bien lissés et
bien formatés en lieu et place de la réalité ? Quel caporalisme, quel manque de
considération pour lui comme pour elle ! Quel mépris vis-à-vis des problèmes
réels auxquels nos armées ont à faire face ! Ce mépris est une faute Monsieur
le Président.
« J’aime le sens du devoir,
j’aime le sens de la réserve… »
Précisément votre devoir était de
faire preuve de réserve vis-à-vis de votre grand subordonné ; les termes vifs
qu’il a utilisés ne vous étaient pas destinés, vous le saviez. Rien ne vous
obligeait à rendre publique une fuite de confidentialité et à l’exploiter en
violente diatribe à son égard. Où est la réserve quand quelques jours plus
tard, comme si cela ne suffisait pas, vous déclarez dans la presse que «
L’intérêt des armées doit primer sur les intérêts industriels », laissant ainsi
entendre que le souci du CEMA concernant l’obsolescence des matériels lui
seraient « susurrés » par le lobby militaro-industriel ? C’est bas, ce n’est
pas digne, Monsieur le Président. Où est la réserve quand, dans le même
journal, vous ajoutez en parlant du général De Villiers qu’il a toute votre
confiance, « mais à condition de savoir quelle est la chaîne hiérarchique et
comment elle fonctionne, dans la république comme dans l’armée » ? Où est la
réserve dans de tels propos adressés à un homme qui sert les Armes de la France
depuis quarante ans, quand vous ne les découvrez que depuis deux mois ?
En conclusion, vous aurez
compris, Monsieur le Président, que vos paroles publiques visant le Général De
Villiers n’ont pas seulement atteint ce grand serviteur de la France et de nos
armées mais aussi un grand nombre de militaires qui, comme nous, se sentent
humiliés. La blessure est profonde. C’est pourquoi, loin des innombrables
commentaires politiques, techniques ou simplement polémiques, nous pensons
qu’il est de notre devoir de vous parler avec le cœur. Vous aviez bien commencé
avec les symboles, et nous avons cru en votre parole ; mais aujourd’hui elle
s’est transformée en mots inutilement destructeurs et vos récentes déclarations
d’amour à Istres ne sont encore perçues que comme des mots, pour ne pas dire
comme de la communication.
Alors, Monsieur le Président,
réservez et retenez votre parole pour qu’elle redevienne La parole, la parole
donnée, la parole qu’on tient : celle en laquelle nous pourrons croire à
nouveau. Laissez les symboles et les discours et passez aux actes concrets pour
vos militaires. Vous êtes leur chef constitutionnel, soyez-le dans leur vie
réelle, écoutez-les, respectez-les.
Général de
brigade aérienne (2S) Diamantidis
Ont également signé cette lettre :
Général de
division aérienne (2S) Tsédri
Général de division
aérienne (2S) Champagne
Général de brigade
Gendarmerie (2S) De Cet
Général de
brigade Terre (2S) Reydellet
Colonel
Terre (ER) Wood
Colonel
Terre (ER) Lerolle
Colonel
Terre (ER) Noirot
Colonel
Terre (ER) Aubignat
Colonel Air
(ER) Piettre
Colonel Air
(ER) Populaire
Médecin en
chef (H) Reynaud
Lieutenant-Colonel
Air (ER) Delalande
Chef de
bataillon Terre (ER) Gouwy
Capitaine
Terre (ER) Diamantidis