lundi 4 juin 2018

L’énergie ? C’est guerre ou paix ?


L’équilibre mondial est sous-tendu par une guerre sans merci, celle de l’accès à l’énergie. Pourquoi ? Est-ce principalement la raréfaction des sources d’énergie ? Je ne le crois pas encore car l’énergie est tirée de nos ressources naturelles, or celles-ci sont loin d’avoir été exploitées sur la totalité de la planète. En particulier les domaines arctique et antarctique, ainsi que les océans laissent encore de larges zones inexploitées. Si les surfaces terrestres laissent peu de bonnes surprises à venir, on est loin d’avoir sondé l’ensemble de l’écorce terrestre, même si on s’apprête à aller chercher le pétrole et le gaz à 3000m de profondeur. Mais l’humanité croît naturellement et se heurte soit à la non-satisfaction de ces besoins vitaux pour les zones les plus déshéritées, soit à la croissance de ses besoins d’amélioration de conditions de vie, où la consommation et le loisir tiennent de plus en plus de place. Or l’énergie est au cœur de ces besoins, puisque même notre corps demande l’énergie fournie par les aliments.

Dès que l’on parle d’énergie, on parle de ressources naturelles et par voie de conséquence de territoires. Toute l’histoire de l’humanité se résume à la captation de l’énergie par ses représentants. Cela commence par le terrain de chasse, puis de cueillette, d’extraction des métaux, du charbon, du pétrole, et fur et à mesure de tous les corps chimiques du tableau de Mendeleïev, de l’atome, et ce n’est pas fini. Depuis plus d’un demi-siècle les prévisionnistes nous prédisent une date proche d’épuisement des ressources naturelles, y incluant les ressources agricoles. J’avais lu un article en 1958 particulièrement alarmant ne donnant pas plus d’un siècle pour nous voir dans une situation de pénurie tant sur le plan alimentaire que sur les ressources pétrolières, gazières et minières, charbon exclus. Ces prévisions étaient basées sur une prévision de croissance de la population encore hors atteinte aujourd’hui. Fort heureusement l’humanité a déjoué ces prévisions comme elles déjoueront celles d’aujourd’hui sur le prochain demi-siècle. Mais il en est résulté la constatation d’une menace d’épuisement des ressources pesant sur les générations futures, et donc le sentiment de l’utilité d’économiser l’énergie. 

Si économiser l’énergie consiste à lutter contre le gaspillage, la fameuse phrase prononcée par les parents « Eteins la lumière, ça coûte cher », on ne peut qu’adhérer à priori. Si je prends cet exemple, c’est à dessein, car ce n’est pas si simple. En effet le raisonnement valable au sens d’économie d’énergie, n’est pas forcément valable en termes de coût. En effet si l’on éteint pour un temps trop court avant de rallumer, il faut prendre en compte le vieillissement accéléré de la lampe lié à l’extinction et à l’allumage. Le problème est donc plus complexe qu’il n’y paraît. Il ne faut pas déboiser nous dit-on. Si l’on prend le cas d’une famille dans un pays déshérité se nourrissant sur sa terre et disposant d’arbres pour ses besoins de chauffage des aliments pour les rendre mangeables, un dilemme se pose à lui lorsque ses enfants grandissent et mangent plus alors qu’il était auto-suffisant. Doit-il abattre des arbres pour cultiver plus, au risque de ne plus disposer du bois nécessaire par ailleurs ? Si le problème est insoluble, prendra-t-il du terrain chez son voisin supposé en avoir trop ? Sinon ? C’est la guerre pour la survie. Dans ces pays on peut aussi parler de la guerre pour l’eau, objet d’incessants conflits. Il n’est que de se remémorer la conquête d’une partie du plateau syrien du Golan pour lequel la possession d’un réservoir d’eau était la principale raison, mais inavouée par Israël.

Dans le monde des pays du G20 aujourd’hui, un trio énergétique vital s’impose, le gaz, le pétrole, et l’électricité. Le charbon, encore majoritaire avec le bois, est taxé d’une peine de pollution excessive dans la grande offensive orchestrée par la France sur la « décarbonisation ». Dommage car cette ressource est encore très abondante, mais le diktat du climat le rejette. Avec raison ? C’est une autre affaire. Le pétrole voit surtout son prix augmenter progressivement pour prendre en compte les difficultés croissantes d’extraction et de raffinage. L’utilisation du pétrole pour le transport, en dehors de la pollution des moteurs thermiques, n’est pas une bonne solution, tout simplement parce qu’il nourrit la pétrochimie indispensable à la production d’une gamme infinie de produits utiles. Ceci entraîne une envie de remplacer les voitures à moteur thermique par une propulsion électrique se heurtant encore à des problèmes d’autonomie, de coût de recyclage et de consommation de lithium et de cobalt, voire de terres rares, pour les voitures à batterie. On déplace ainsi le problème sur la fourniture d’électricité. 

Le gaz reprend donc un intérêt nouveau car les politiques des énergies renouvelables intermittentes nécessitent l’apport d’énergies pilotables. L’Allemagne est à ce point de vue un cas particulièrement intéressant. Ce pays est peu pourvu d’énergie hydraulique, mais est historiquement producteur de charbon et de lignite. Ces derniers avaient permis de produire le plus gros pourcentage de la production électrique allemande. Son aventure dans le nucléaire a été stoppée par une décision d’arrêt qui s’avère cependant difficile à réaliser entièrement. L’Allemagne s’est lancée dans les énergies renouvelables, les EnRia, pour compenser le nucléaire. Force est de constater que ce but n’est toujours pas atteint. Elle a fait croire qu’elle pouvait ainsi arrêter les centrales à charbon polluantes. On constate effectivement que des centrales à charbon sont arrêtées, mais aussi que les centrales au gaz les remplacent et que la production de lignite ne faiblit pas, or la combustion du lignite est très polluante. L’objectif de décarbonisation n’est donc pas atteint.

Mais l’Allemagne rêve depuis toujours de régner sur l’Europe, rôle conféré par la géographie et sa place centrale dans l’Europe. Pour cela tout est bon. Si son choix des EnRia s’avère peu satisfaisant avec des surproductions aléatoires et de plus en plus importantes par ailleurs, elle a compris que promouvoir le gaz comme compagnon des EnRia pouvait lui donner une stratégie à imposer à tous les pays riverains, dont la France. D’une façon générale dans le monde le gaz a trouvé une nouvelle vie pour remplacer aussi le pétrole dans de nombreuses installations. Dans l’actualité récente, les plus perspicaces auront compris que l’acheminement de la production du plus gros gisement de gaz au monde, le gisement iranien de South Pars, n’était pas totalement étranger aux sanctions américaines. L’entreprise TOTAL, qui avait pu en négocier, en 1999 et 2000, la majorité de l’exploitation, a été attaquée pour corruption par la justice. Elle a pu clore la procédure américaine en versant la somme de 398 millions de dollars. Les récentes sanctions américaines contre l’Iran, au prétexte d’un manquement aux accords nucléaires, auront fini par avoir raison des prétentions de TOTAL sur ce fabuleux gisement, en raison de la menace U.S. Désormais la guerre du gaz est en effet sans merci. 


Mais revenons à l’Allemagne. Celle-ci n’est pas ignorante du désir russe de s’ouvrir l’Europe pour vendre son gaz. Elle y voit donc une opportunité intéressante de devenir la place forte de distribution du gaz en Europe grâce à un axe germano-russe. L’ancien vice-chancelier allemand, promoteur de l’abandon du nucléaire et des EnRia, fut ainsi l’une des 3 seules personnes qui ont été honorées d’une poignée de main, lors de la dernière investiture de V. Poutine, indiquant en même temps l’importance de son rôle. Malgré l’opposition de la Commission européenne, qui déplore la dépendance ainsi renforcée de l’Europe à la politique de V. Poutine, des Etats-Unis qui veulent vendre leur gaz de schiste, de l’Ukraine qui se voit concurrencée sur le passage du gaz russe sur son territoire, de la Pologne viscéralement opposée à la Russie, le projet de gazoduc Nord Stream 2, qui évite l’Ukraine, assure à l’Allemagne un partenariat privilégié avec la Russie, va voir le jour.

Et la France dans tout ça ? Elle dispose d’un avantage considérable :
- Une moindre dépendance énergétique, avec 46% contre 61,9% en Allemagne selon la Commission européenne, car les coûts des importations d’uranium sont suffisamment marginaux (1,14€/MWh) pour ne pas devoir entrer dans son calcul,
- une absence d’émission de CO2 qui place notre économie à l’abri de l’évolution de la taxe carbone.
 
Cela est particulièrement dérangeant pour l’Allemagne qui tomberait encore plus sous la taxe carbone susceptible d’augmenter comme le demande justement la France, alors que celle-ci produit 75% de son électricité par le nucléaire. Le duo allemand gaz-EnRia devient alors un handicap insupportable. Le rapport franco-allemand Agora Iddri « L‘Energiewende et la transition énergétique à l’horizon 2030 » mentionne, en effet, p 91 :
 
« L’évolution du parc de production nucléaire en France influera sur la rentabilité du parc à charbon en Allemagne. […] Si des capacités nucléaires sont retirées du mix français, la compétitivité des centrales à charbon maintenues dans le système en Allemagne est améliorée ». 

La vision allemande se heurte de plein fouet au nucléaire français, et on comprend combien elle incite la France dans l’augmentation de son parc d’EnRia. Cela demande l’augmentation de notre production électrique à partir du gaz et le retrait du nucléaire qui fait croître notre prix du kWh. C’est le double jackpot pour l’Allemagne et elle conforte sa position de tour de distribution du gaz russe sur toute l’Europe. On notera ainsi que l’Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE) tient ses bureaux dans les locaux même de notre ministère de l’écologie solidaire, et que des organismes allemands, tels que la fondation H. Böll financent des sondages permettant de montrer aux français qu’ils sont opposés au nucléaire. Il semble donc que nous jouions les idiots utiles alors que la stratégie allemande est claire et cela ne date pas d’aujourd’hui. 

On se rappelle les confessions du député écologiste suisse qui avait tiré au lance-roquettes sur la centrale de Superphénix grâce à une arme aimablement fournie par les services secrets du bloc de l’Est : « En fait, eux, nous et les services secrets du bloc de l’Est qui les finançaient et les entraînaient, nous avions un objectif commun : affaiblir le complexe militaro-industriel auquel Malville appartenait. Ils nous ont donc finalement fait ce cadeau ». Lequel « cadeau » a contribué à tuer dans l’œuf les velléités d’indépendance énergétique de la France que la surgénération aurait permise, tandis que c’est désormais la Russie qui domine cette technologie, ayant récemment obtenu le prix de la meilleure centrale au monde pour son BN 800 qui reprend celle de Superphénix.

Le couple franco-allemand n’existe pas. La France est l’objet d’un jeu de dupes dans une politique de subventions aux EnRia, comme de nombreux pays de l’UE, politique qui ne peut aboutir qu’à un renchérissement du coût du kWh, à l’élimination de tous les producteurs non subventionnés, et à une dépendance renforcée à l’Allemagne et la Russie. Il faudra revenir sur cette bataille gigantesque sur l’énergie à l’origine de toutes les grandes évolutions de la géopolitique, et malheureusement de tous les conflits.

Dans le domaine de l’énergie la France vend son âme, 

Avec ce qui lui permettait de viser l’indépendance

Et d’éviter des coûts complètement inutiles. 

Elle va ainsi livrer à l’Allemagne les clefs

De l’avènement du pangermanisme.

Claude Trouvé 
04/06/18

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