L’équilibre mondial est sous-tendu par une guerre sans merci,
celle de l’accès à l’énergie. Pourquoi ? Est-ce principalement la
raréfaction des sources d’énergie ? Je ne le crois pas encore car l’énergie
est tirée de nos ressources naturelles, or celles-ci sont loin d’avoir été
exploitées sur la totalité de la planète. En particulier les domaines arctique
et antarctique, ainsi que les océans laissent encore de
larges zones inexploitées. Si les surfaces terrestres laissent peu de bonnes
surprises à venir, on est loin d’avoir sondé l’ensemble de l’écorce terrestre,
même si on s’apprête à aller chercher le pétrole et le gaz à 3000m de profondeur.
Mais l’humanité croît naturellement et se heurte soit à la non-satisfaction de
ces besoins vitaux pour les zones les plus déshéritées, soit à la croissance de
ses besoins d’amélioration de conditions de vie, où la consommation et le
loisir tiennent de plus en plus de place. Or l’énergie est au cœur de ces besoins,
puisque même notre corps demande l’énergie fournie par les aliments.
Dès que l’on parle d’énergie, on parle de
ressources naturelles et par voie de conséquence de territoires. Toute l’histoire
de l’humanité se résume à la captation de l’énergie par ses représentants. Cela
commence par le terrain de chasse, puis de cueillette, d’extraction des métaux,
du charbon, du pétrole, et fur et à mesure de tous les corps chimiques du
tableau de Mendeleïev, de l’atome, et ce n’est pas fini. Depuis plus d’un
demi-siècle les prévisionnistes nous prédisent une date proche d’épuisement des
ressources naturelles, y incluant les ressources agricoles. J’avais lu un article
en 1958 particulièrement alarmant ne donnant pas plus d’un siècle pour nous
voir dans une situation de pénurie tant sur le plan alimentaire que sur les ressources pétrolières, gazières et minières,
charbon exclus. Ces prévisions étaient basées sur une prévision de croissance
de la population encore hors atteinte aujourd’hui. Fort heureusement l’humanité
a déjoué ces prévisions comme elles déjoueront celles d’aujourd’hui sur le
prochain demi-siècle. Mais il en est résulté la constatation d’une menace d’épuisement
des ressources pesant sur les générations futures, et donc le sentiment de l’utilité
d’économiser l’énergie.
Si économiser l’énergie consiste à lutter contre le gaspillage,
la fameuse phrase prononcée par les parents « Eteins la lumière, ça coûte
cher », on ne peut qu’adhérer à priori. Si je prends cet
exemple, c’est à dessein, car ce n’est pas si simple. En effet le raisonnement valable
au sens d’économie d’énergie, n’est pas forcément valable en termes de coût. En
effet si l’on éteint pour un temps trop court avant de rallumer, il faut
prendre en compte le vieillissement accéléré de la lampe lié à l’extinction et
à l’allumage. Le problème est donc plus complexe qu’il n’y paraît. Il ne faut
pas déboiser nous dit-on. Si l’on prend le cas d’une famille dans un pays
déshérité se nourrissant sur sa terre et disposant d’arbres pour ses besoins de
chauffage des aliments pour les rendre mangeables, un dilemme se pose à lui lorsque
ses enfants grandissent et mangent plus alors qu’il était auto-suffisant.
Doit-il abattre des arbres pour cultiver plus, au risque de ne plus disposer du
bois nécessaire par ailleurs ? Si le problème est insoluble, prendra-t-il
du terrain chez son voisin supposé en avoir trop ? Sinon ? C’est la
guerre pour la survie. Dans ces pays on peut aussi parler de la guerre pour l’eau,
objet d’incessants conflits. Il n’est que de se remémorer la conquête d’une
partie du plateau syrien du Golan pour lequel la possession d’un réservoir d’eau
était la principale raison, mais inavouée par Israël.
Dans le monde des pays du G20 aujourd’hui, un trio énergétique
vital s’impose, le gaz, le pétrole, et l’électricité. Le charbon, encore
majoritaire avec le bois, est taxé d’une peine de pollution excessive dans la
grande offensive orchestrée par la France sur la « décarbonisation ».
Dommage car cette ressource est encore très abondante, mais le diktat du climat
le rejette. Avec raison ? C’est une autre affaire. Le pétrole voit surtout
son prix augmenter progressivement pour prendre en compte les difficultés croissantes
d’extraction et de raffinage. L’utilisation du pétrole pour le transport, en
dehors de la pollution des moteurs thermiques, n’est pas une bonne solution,
tout simplement parce qu’il nourrit la pétrochimie indispensable à la
production d’une gamme infinie de produits utiles. Ceci entraîne une envie de
remplacer les voitures à moteur thermique par une propulsion électrique se
heurtant encore à des problèmes d’autonomie, de coût de recyclage et de consommation
de lithium et de cobalt, voire de terres rares, pour les voitures à batterie. On
déplace ainsi le problème sur la fourniture d’électricité.
Le gaz reprend donc un intérêt nouveau car les politiques des
énergies renouvelables intermittentes nécessitent l’apport d’énergies
pilotables. L’Allemagne est à ce point de vue un cas particulièrement intéressant.
Ce pays est peu pourvu d’énergie hydraulique, mais est historiquement producteur
de charbon et de lignite. Ces derniers avaient permis de produire le plus gros
pourcentage de la production électrique allemande. Son aventure dans le nucléaire
a été stoppée par une décision d’arrêt qui s’avère cependant difficile à
réaliser entièrement. L’Allemagne s’est lancée dans les énergies renouvelables,
les EnRia, pour compenser le nucléaire. Force est de constater que ce but n’est toujours pas atteint. Elle a fait croire qu’elle
pouvait ainsi arrêter les centrales à charbon polluantes. On constate
effectivement que des centrales à charbon sont arrêtées, mais aussi que les centrales au gaz les remplacent et que la production de lignite ne faiblit pas, or la combustion
du lignite est très polluante. L’objectif de décarbonisation n’est donc pas
atteint.
Mais l’Allemagne rêve depuis toujours de régner sur l’Europe,
rôle conféré par la géographie et sa place centrale dans l’Europe. Pour cela
tout est bon. Si son choix des EnRia s’avère peu satisfaisant avec des surproductions
aléatoires et de plus en plus importantes par ailleurs, elle a compris que promouvoir le gaz comme compagnon des EnRia pouvait lui
donner une stratégie à imposer à tous les pays riverains, dont la France. D’une
façon générale dans le monde le gaz a trouvé une nouvelle vie pour remplacer
aussi le pétrole dans de nombreuses installations. Dans l’actualité récente, les
plus perspicaces auront compris que l’acheminement de la production du plus
gros gisement de gaz au monde, le gisement iranien de South Pars, n’était pas
totalement étranger aux sanctions américaines. L’entreprise TOTAL, qui avait pu
en négocier, en 1999 et 2000, la majorité de l’exploitation, a été attaquée
pour corruption par la justice. Elle a pu clore la procédure américaine en
versant la somme de 398 millions de dollars. Les récentes sanctions américaines
contre l’Iran, au prétexte d’un manquement aux accords nucléaires, auront fini
par avoir raison des prétentions de TOTAL sur ce fabuleux gisement, en raison
de la menace U.S. Désormais la guerre du gaz est en effet sans merci.
Mais revenons à l’Allemagne. Celle-ci n’est pas
ignorante du désir russe de s’ouvrir l’Europe pour vendre son gaz. Elle y voit
donc une opportunité intéressante de devenir la place forte de distribution du
gaz en Europe grâce à un axe germano-russe. L’ancien vice-chancelier allemand,
promoteur de l’abandon du nucléaire et des EnRia, fut ainsi l’une des 3 seules
personnes qui ont été honorées d’une poignée de main, lors de la dernière
investiture de V. Poutine, indiquant en même temps l’importance de son rôle.
Malgré l’opposition de la Commission européenne, qui déplore la dépendance
ainsi renforcée de l’Europe à la politique de V. Poutine, des Etats-Unis qui
veulent vendre leur gaz de schiste, de l’Ukraine qui se voit concurrencée sur
le passage du gaz russe sur son territoire, de la Pologne viscéralement opposée
à la Russie, le projet de gazoduc Nord Stream 2, qui évite l’Ukraine, assure à
l’Allemagne un partenariat privilégié avec la Russie, va voir le jour.
Et la France dans tout ça ? Elle dispose d’un avantage
considérable :
- Une moindre dépendance énergétique, avec 46% contre 61,9%
en Allemagne selon la Commission européenne, car les coûts des importations
d’uranium sont suffisamment marginaux (1,14€/MWh) pour ne pas devoir entrer
dans son calcul,
- une absence d’émission de CO2 qui place notre
économie à l’abri de l’évolution de la taxe carbone.
Cela est particulièrement dérangeant pour l’Allemagne qui
tomberait encore plus sous la taxe carbone susceptible d’augmenter comme le
demande justement la France, alors que celle-ci produit 75% de son
électricité par le nucléaire. Le duo allemand gaz-EnRia devient alors un
handicap insupportable. Le rapport franco-allemand Agora Iddri « L‘Energiewende
et la transition énergétique à l’horizon 2030 » mentionne, en effet, p 91 :
« L’évolution du parc
de production nucléaire en France influera sur la rentabilité du parc à charbon
en Allemagne. […] Si des capacités nucléaires sont retirées du mix français, la
compétitivité des centrales à charbon maintenues dans le système en Allemagne
est améliorée ».
La vision allemande se heurte de plein fouet au nucléaire français,
et on comprend combien elle incite la France dans l’augmentation de son parc d’EnRia.
Cela demande l’augmentation de notre production électrique à partir du gaz et
le retrait du nucléaire qui fait croître notre prix du kWh. C’est le double
jackpot pour l’Allemagne et elle conforte sa position de tour de distribution
du gaz russe sur toute l’Europe. On notera ainsi que l’Office franco-allemand pour la
transition énergétique (OFATE) tient ses bureaux dans les locaux même de notre
ministère de l’écologie solidaire, et que des organismes allemands, tels que la
fondation H. Böll financent des sondages permettant de montrer aux français qu’ils
sont opposés au nucléaire. Il semble donc que nous jouions les idiots utiles alors
que la stratégie allemande est claire et cela ne date pas d’aujourd’hui.
On se rappelle les confessions du député écologiste suisse
qui avait tiré au lance-roquettes sur la centrale de Superphénix grâce à une
arme aimablement fournie par les services secrets du bloc de l’Est : « En fait, eux, nous et les services secrets
du bloc de l’Est qui les finançaient et les entraînaient, nous avions un objectif
commun : affaiblir le complexe militaro-industriel auquel Malville appartenait.
Ils nous ont donc finalement fait ce cadeau ». Lequel « cadeau » a
contribué à tuer dans l’œuf les velléités d’indépendance énergétique de la
France que la surgénération aurait permise, tandis que c’est désormais la
Russie qui domine cette technologie, ayant récemment obtenu le prix de la
meilleure centrale au monde pour son BN 800 qui reprend celle de Superphénix.
Le couple franco-allemand n’existe pas. La France est l’objet
d’un jeu de dupes dans une politique de subventions aux EnRia, comme de
nombreux pays de l’UE, politique qui ne peut aboutir qu’à un
renchérissement du coût du kWh, à l’élimination de tous les producteurs non
subventionnés, et à une dépendance renforcée à l’Allemagne et la Russie. Il faudra
revenir sur cette bataille gigantesque sur l’énergie à l’origine de toutes les
grandes évolutions de la géopolitique, et malheureusement de tous les conflits.
Dans le domaine de l’énergie
la France vend son âme,
Avec ce qui lui
permettait de viser l’indépendance
Et d’éviter des coûts
complètement inutiles.
Elle va ainsi livrer à l’Allemagne
les clefs
De l’avènement du
pangermanisme.
Claude Trouvé
04/06/18
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire