Dans nos chroniques des 21 et 23 février, les modifications des traités et la mise en place de mécanismes, destinés à créer un barrage crédible à tout défaut de paiement des pays en difficulté, ont été explicités. Les aides seront conditionnées à l’engagement des États dans l’objectif d’un endettement annuel maximal de 0,5% par rapport au PIB. Mais le Mécanisme Européen de Stabilité pose le risque d’une institution de pouvoirs donnés sur les États et d’une avancée vers le fédéralisme. L’apparition du FMI, organisation mondiale, dans les décisions officielles d’aide à des états européens, crée un pas vers la gouvernance mondiale.
Claude Trouvé
Intervention de Dominique SOUCHET à la tribune de l'Assemblée nationale à propos du traité instituant le Mécanisme Européen de Stabilité
Paris, le 21 février 2012
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
On pourrait à première vue se réjouir de voir apparaître dans le paysage européen, avec le Mécanisme de solidarité, un rééquilibrage institutionnel en faveur des procédures intergouvernementales, c'est-à-dire de la coopération entre démocraties nationales.
Le Mécanisme Européen de Solidarité est une structure intergouvernementale. La procédure communautarisée de la coopération renforcée, recommandée par le Parlement européen, a été écartée. Le MES n'est pas une union de transferts, comme le réclamaient certains Etats membres, favorables à un "grand bond fédéraliste".
Nous devons cependant constater que le régime juridique du M.E.S. fait le grand écart entre sa conception de principe, intergouvernementale, et certaines modalités de fonctionnement qui empruntent leurs traits au système communautaire. C'est comme si les Etats membres n'avaient pas osé aller jusqu'au bout de leur volonté d'émancipation.
Toutefois, lorsqu'ils ont donné un mandat à la Commission, les Etats ont veillé à ce que celle-ci reste dans un rôle subordonné, n'ait pas à la place des Etats le pouvoir d'initiative et joue le rôle d'un secrétariat administratif au service du Conseil des gouverneurs.
Trois dispositions apparaissent cependant particulièrement préoccupantes.
La première est la possibilité donnée à un membre du M.E.S. de faire appel de la décision du Conseil des gouverneurs devant la Cour de justice de l'Union. Or, on connaît l'âpre vigilance avec laquelle les institutions supranationales veillent sur leurs compétences et cherchent sans cesse à les accroître en s'efforçant de neutraliser l'inspiration intergouvernementale, lorsqu'elle est présente, pour imposer le communautarisme des procédures.
La seconde disposition introduit curieusement une certaine mondialisation des pouvoirs au sein du M.E.S., avec un rôle particulièrement important donné au F.M.I., investi de véritables pouvoirs de co-décision. Le F.M.I., organisme non européen, se voit ainsi placé au premier plan de la procédure du M.E.S.
La troisième disposition est une disposition qui n'existe pas et qui devrait exister. Elle met en relief le caractère anti-démocratique des procédures du M.E.S., qui ne comportent aucune consultation des parlements nationaux, alors que les questions financières et budgétaires sont, par excellence, de leur compétence et alors même que le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe a renforcé, en septembre dernier, le droit de regard des députés du Bundestag sur le fonctionnement du mécanisme européen de stabilité financière auquel le M.E.S. va se substituer.
Au-delà de ces dispositions inquiétantes, on est amené à s'interroger sur la cohérence d'ensemble du double traité.
Une contradiction manifeste apparaît entre la volonté de créer, avec le M.E.S., une institution inter-gouvernementale et la volonté de renforcer fortement, avec le T.S.C.G., l'intégration communautaire, même si nous avons échappé, pour le moment, au pire, c'est-à-dire à la demande allemande de judiciariser la gestion des budgets nationaux en les plaçant sous le contrôle de la Cour de justice.
Enfin, et c'est la question fondamentale que nous devons nous poser, le M.E.S. permettra-t-il réellement de faire face à la crise qui ébranle la zone euro ?
On peut fortement en douter, dans la mesure où il ne s'attaque pas à la cause principale de l'endettement. Cette cause, c'est l'ouverture dérégulée appliquée sans corrections à des zones régies par des règles totalement différentes, véritable perversion du libre échange. Plutôt que de corriger ces effets pervers, les dirigeants européens ont préféré injecter massivement des liquidités censées relancer l'économie et qui, en réalité, n'ont fait que provoquer un surendettement général, des ménages comme des États.
Cette ouverture dérégulée joue le rôle d'un "choc extérieur asymétrique", qui accroît les divergences entre États membres de la zone euro.
Le traité de Maastricht n'ayant pas prévu pas prévu de système de transferts massifs, ni discipline de fer au niveau européen, ce qui aurait permis de maintenir un semblant d'unité, les gouvernements sont réduits à bricoler dans l'urgence des instruments de secours. Tel est le cas du fonds européen de stabilité financière dont le montant est perpétuel réajustement. Tel sera le cas du MES, dont on ne sait à quelle hauteur il sera capable, s'il peut l'être, de faire face à l'addition des pays défaillants. 500 milliards ? 1.000 milliards ? Davantage encore ?
En réalité, ces instruments n'apparaissent pas adaptés à la nature véritable de la crise, qui n'est pas due fondamentalement à de mauvaises gestions passagères ou à des initiatives de spéculateurs, mais à la dislocation de nos économies par l'ouverture dérégulée qui, à son tour, disloque la monnaie unique.
C'est donc en vain et sans fin que les pays qui sont encore vaillants prêteront à travers un M.E.S. qui risque de n'être jamais suffisant aux Etats en grave difficulté, dont la situation ne pourra qu'empirer, si la seule politique qui leur est imposée, la réduction comptable de leurs déficits, les condamne à l'asphyxie.
La priorité des priorités pour l’Europe devrait donc être de proposer une nouvelle régulation mondiale pour que le développement des uns ne se fasse pas au détriment des autres.