" That is the question ! ". C’est bien la vraie question sur la construction de l’Europe. Malheureusement la question n'est pas encore posée à ses peuples. Les chefs d’état vont se réunir pour échafauder un plan de sauvetage d’une Europe bricolée, de zone euro et non euro, de Schengen et non Schengen, et bardée dans ses traités de clauses particulières applicables à certains pays. C’est bien parce que l’Europe n’a jamais tranché entre ses trois objectifs que le bateau tangue d’une direction à l’autre sur la mer démontée des disparités économiques et sociales.
La sortie de la Grande-Bretagne a le mérite d’afficher clairement la préférence de ce pays pour l’Europe des marchés et son envie de revenir à ce qu’elle avait initié dans sa zone de libre-échange. L’Allemagne ne voit pas comment l’Europe pourrait fonctionner sans devenir fédérale au sens allemand, c’est-à-dire avec un droit de véto que lui donnent sa constitution et la primauté d’un euro vivant au rythme du mark. La France ne croit plus à son destin en dehors de l’Europe et, depuis François Mitterrand, elle s’est résolue à compromettre ses pouvoirs régaliens pour suivre les impulsions allemandes.
Par ailleurs les peuples britanniques, allemands et français croient de moins en moins à l’Europe. C’est là tout le paradoxe de la situation actuelle où la démocratie n’arrive plus à s’exprimer normalement et où les politiques au pouvoir croient détenir la vérité depuis trente ans. L’écart se creuse entre l’Europe inodore des Commissaires, les représentants des états et les peuples. La lente descente de l’Europe ne remet absolument pas en cause les certitudes des dirigeants des partis majoritaires. Il s’ensuit un risque non seulement de faillite mais de révolution des « indignés », comme cela existe ou couve dans plusieurs pays.
L’Europe des peuples n’est pas incompatible avec l’Europe des marchés mais elle l’est avec l’Europe fédérale. Ce rêve, dont on ne sait même pas s’il serait idyllique, est irréaliste dans l’état actuel des choses et des peuples. Ce peut être un leg aux générations suivantes mais il faut progresser lentement. L’Euro, monnaie unique mise en circulation pour forcer le destin, n’est plus tenu qu’à bout de bras dans une cacophonie qui scelle sa mort prochaine.
Un traité multinational va être débattu à 26 + 1 observateur, alors qu’il a été prévu pour 17 + pays intéressés. Les fonds de sauvetage du FMI ne sont pas à la hauteur des besoins des pays en difficulté soit 800Mds€ pour 2012. Le financement du MES, prévu dans son principe, est loin d’être assuré et l’on parle de participation, américaine, russe, chinoise, brésilienne. On se doute que tout cela sera une usine à gaz mais pas gratuit et demandera des mois de négociations. La BCE veut rester dans son rôle des traités, comme régulatrice de l’inflation qui atteint désormais 3% pour l’Europe. Si l’on ajoute les divergences de fond entre la France et l’Allemagne, on voit que tout est réuni pour que les marchés n‘attendent pas et que les agences de notation agissent.
L’Europe est un nain politique,car l’intervention en Libye, les menaces sur la Syrie montrent soit des divergences profondes soit des incapacités à peser efficacement en dehors des Etats-Unis. Non seulement c’est un nain politique mais c’est une tour de Babel où les palabres n’aboutissent qu’à des compromis bancals et toujours trop tardifs. Ses objectifs ne sont absolument pas réalisés.
Mais il est une autre raison pour laquelle l’Europe ne peut s’affirmer. Elle est contenue dans l’ambigüité d'une orientation fédérale à terme et une affirmation de non-recherche de puissance. Ce dernier point me fait souvenir des positions politiques franco-britanniques avant la deuxième guerre mondiale. Aucun ensemble politique de cette taille ne peut espérer s’imposer dans le monde sans affirmer sa puissance. Il suffit de regarder ce qui se passe actuellement. La Turquie se réveille dans son passé d’Empire Ottoman, la Chine dans celui de l’Empire du Milieu et le Brésil se voit enfin un avenir de grande puissance. L’Europe ne peut survivre que comme une puissance organisée comme telle politiquement, économiquement et militairement.
La seule difficulté, mais elle est de taille, c’est que le patchwork de pays aux 37 langues différentes, aux niveaux d'évolution économique et sociale très différents, n’a rien des caractéristiques qui ont construit les USA. Le temps du fédéralisme est dans les têtes pensantes mais pas dans le cœur des européens d’aujourd’hui… Il est temps seulement de dépasser l’Europe des marchés pour élaborer patiemment le rassemblement des peuples sur ce qu’ils ont envie de vivre ensemble aujourd’hui, celui de l'Europe des peuples.
On ne construit pas une nation sans les peuples
Mais les peuples peuvent se retrouver sans nation.
Une monnaie ne fait pas une nation,
Mais une monnaie parachève une nation.
Claude Trouvé