dimanche 9 décembre 2012

Un patrimoine de l’humanité en désespérance…

Le vent est frisquet et les dernières feuilles des platanes oscillent encore sur les rameaux déplumés sous un ciel immaculé. D’autres flottent sur l’eau tranquille du Canal du Midi au travers des ombres des arbres qui le bordent. Dans ce monde où les nouvelles, souvent mauvaises, s’entrechoquent sans nous laisser le temps de respirer, il nait de cet endroit une paix qu’égrène, en moments de silence, mon pas de promeneur du dimanche. Ce Canal est une beauté dont on ne se lasse pas avec ses courbes qui laissent au regard une frondaison sans fin. L’été, son ombrage offre sa fraîcheur aux passants et aux plaisanciers. Tous les pays du monde se croisent sur ses eaux calmes de l’Etang de Thau jusqu’à Toulouse. Du sentier qui le borde on décode les pavillons et l’anglais sert de passeport à de brefs échanges et des signes d’amitié. On a l’impression d’une paix universelle que l’on vient célébrer du bout du monde, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, d’Ecosse, de Pologne, de Suisse, des Pays-Bas, de Russie, des Etats-Unis…
Des signes pourtant perturbent ma marche tranquille, ce sont ces points bleus, par un, par deux, par trois, qui sont peints sur les troncs. Je compte sans le vouloir les arbres marqués de ces points qui sont autant de condamnation de ces platanes dont je n’aperçois le faîte qu’en me tordant le cou en arrière. Depuis plusieurs années, les platanes du canal du Midi sont atteints par le chancre coloré, une maladie létale provoquée par un champignon microscopique, le Ceratocystis platani. Les premiers foyers ont été détectés en 2006. Le nombre de platanes infectés atteignant 83 en 2008 et 153 en 2009, des campagnes ponctuelles d'abattages ont été menées pour tenter d'enrayer la propagation, restées sans effet. De plus, il n'existe pas de traitement efficace contre le chancre. En 2011, 211 foyers et 1 338 arbres malades ont été identifiés. D'ici quinze à vingt ans, les 42 000 platanes du canal du Midi devraient être abattus et remplacés soit par d'autres essences (frênes, tilleuls) soit par une variété de platane résistante au parasite.

Le 7 décembre 19963, le canal et une zone tampon de 2.000 km² sont inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO. La même année, il est classé au titre de la loi française sur les grands sites. Ce classement est étendu aux rigoles de la plaine et de la montagne en 1996 et 2001. Il provoque très rapidement une augmetation de sa fréquentation touristique. Long de 241 km, le canal fut construit à la pelle et à la pioche de 1667 à 1683 sur les plans et la surveillance des travaux de l'architecte Paul Riquet. Ce chantier qui permit de relier la Garonne à la Méditerranée est considéré comme le plus grand chantier du XVIIème siècle par son ampleur et son audace.
Le canal est un patrimoine lourd à entretenir et à valoriser, car l'organisme gestionnaire des canaux français, les Voies navigables de France (VNF), est spécialisé dans la gestion et l'entretien des canaux français dans le cadre d'un marché économique et commercial, et non dans celui du marché touristique dans lequel se situe le canal du Midi. Son exploitation génère des retombées financières insuffisantes pour son entretien et demande l’intervention d’un financement complémentaire des collectivités locales.


Depuis six ans l’arrachage et la replantation des platanes est en discussion avec le Ministère de l’Ecologie et du Développement durable, qui traîne les pieds et des discordes entre les régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées retardent une action de grande ampleur. Un chercheur de l’INRA a découvert une espèce de platanes qui résiste au champignon et les arbres sont prêts, seule la volonté d’aboutir entre Etat et collectivités territoriales retarde le projet. Les bénévoles s’en mêlent et une exposition itinérante de photos du monde et du canal parcourt celui-ci de Sète à Toulouse avec l’appui de l’INRA pour sensibiliser la population et les élus des communes traversées (www.letransporteurdimage.fr). La péniche du « Transporteur d’images » est le dernier signe du français, défenseur du patrimoine, avant que l’UNESCO retire le Canal du Midi du patrimoine de l’humanité avec ce qui en fait son plus beau décor, les platanes.

On vient en France pour la beauté de ses paysages et de son patrimoine.
Des bâtisseurs, comme Paul Riquet, font l’admiration du monde entier.
Après les usines, laisserons-nous aussi mourir les joyaux de notre génie ?

Claude Trouvé
Coordonnateur MPF du Languedoc-Roussillon