Lorsqu’un malheur arrive, on accuse d’abord les autres. Il est de bon ton à Bruxelles de crier haro sur la toute puissance des agences de notation. Il est également de bon ton, chez les politiques et les supporters de l’Europe de Maastricht, de crier haro sur les banquiers. Tous les malheurs viendraient de ces deux là et l’opinion publique est fortement conditionnée dans ce sens. Les agences ne sont certes pas au-dessus de tout soupçon et subissent obligatoirement des pressions de la part des Etats et des puissances financières.
Toutefois il y a quatre agences, deux américaines (Standard & Poor’s et Moody’s), une française (Fitch) et une chinoise (Dragon Global). Compte-tenu de leur implantation géographique, on peut penser d’une part que les influences possibles doivent être issues d’entités différentes et que d’autre part la concurrence se joue sur la validité des analyses. Ces dernières, étant en grandes parties orientées vers l’avenir économique à court terme, sont vite confrontées à la réalité. Dans ces conditions il serait injuste de dire que la partialité est leur qualité première et non un travail sérieux d’investigation.
A contrario on comprend très bien que les politiques gouvernant actuellement, ceux qui veulent prendre le manche ainsi que ceux qui nous ont chanté « l’euro qui protège » (on se demande maintenant de quoi) cherchent des boucs émissaires pour couvrir les contre-performances de leurs pays respectifs. En France les deux principaux partis qui briguent le pouvoir ont augmenté notre dette après avoir soit signé, soit conforté l’euro. Ils sont donc au moins d’accord sur un point, la faute est aux autres.
La raison de nos difficultés qui s’aggravent chaque jour, c’est la décision malheureuse (sauf pour les lobbies) de construire une Europe sur un patchwork de pays structurellement, économiquement, socialement, culturellement, cultuellement très différents en rêvant de l’émergence des Etats-Unis d’Europe. Ils y ont été poussé par des Etats-Unis décidés à créer un monde unipolaire, faisant de l’Europe une étape intermédiaire d’une gouvernance mondiale et livrant les états aux banquiers. L’arrivée des pays émergents, avec une Russie revigorée et une Chine en pleine croissance, vient troubler le jeu, explique les évènements internationaux actuels et nous conforte dans l’idée de nous accrocher frileusement à l’Europe.
Dans l’impossibilité de réunir des pays aussi différents à la naissance de l’UE dans le fédéralisme, on a fait le pari fou de croire que la monnaie unique serait rapidement le lien, passé comme un licou sur l’échine des peuples, qui créerait cette Union. Loin de rapprocher les économies, on constate qu’elle n’a fait que les éloigner, que le licou étrangle les peuples et que les nœuds successifs, ajoutés sans son consentement, les blessent. Là est le péché originel et les agences de notation n’y sont pour rien.
Que les politiques qui ont gouverné la France depuis trente ans aient le courage de se regarder dans une glace avant d’invoquer les agences, les banquiers et, pour parfaire le tout, de jeter l'opprobre sur leurs adversaires politiques. Ceux-là nous offrent un triste spectacle de « responsables et pas coupables », maniant l’invective et le dénigrement du travail des adversaires sans pour autant offrir des solutions qui soient crédibles et mobilisent un peuple désabusé.
Les différentes agences de notation offrent des variantes d’appréciation sur les pays d’Europe. Si l’on s’intéresse à l’agence chinoise, on constate que la France avait déjà était dégradée par elle de deux crans. Or nous ne sommes dégradés que d’un cran mais sous surveillance négative par S&P. Par ailleurs cette agence chinoise ne maintient que quatre pays à la note AAA, la Norvège, la Suède, la Finlande et la Suisse. Parmi eux, seule la Finlande fait partie de la zone euro et la Suède a refusé l’euro !
J’ai eu l’occasion hier de revenir sur la réussite insolente de la Suède dont les partisans de l’euro évitent désormais de parler. Pourtant il fut un temps récent où nos politiques allaient soit disant y prendre des leçons. Ils n’ont ensuite pas retenu celle de l’euro car il n’y a pas pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre. Il y a maintenant beaucoup à parier que les pays scandinaves et les pays du nord dégradés d’un cran par Dragon, à savoir Allemagne, Pays-Bas, Danemark, plus l'Autriche, vont faire entendre leur voix devant un couple franco-allemand déséquilibré.
Les agences de notation sont comme l’œil de Caïn,
Vouloir briser ce miroir c’est avoir peur de s’y regarder.
L’euro se meurt, gardons notre énergie pour des solutions concrètes.