Un évènement peu connu de nous tous qui tient au
fonctionnement de la zone euro est en train de faire basculer l’euro vers sa
disparition probablement furtive. En effet il est politiquement
difficile d’annoncer la fin de l’euro après 25 ans de propagande sur l’euro qui
protège, qui est doté d’un poids supérieur aux monnaies nationales, et qui facilite
la vie dans les transactions commerciales entre les pays de la zone. D’ailleurs
l’euro, adopté par la majorité des pays, est la colonne vertébrale de l’UE. L’annonce
de sa disparition sonnerait la fin de l’UE. Or l’UE est une construction toujours
soutenue par les Etats-Unis et les grandes puissances de l’argent pour des
raisons économiques et militaires. Donc si l’existence de l’euro est menacée,
il faut en garder le nom et le symbole tout en admettant que l’euro n’ait plus
la même équivalence d’un pays à l’autre dans les transactions commerciales et
monétaires. Ce serait une sortie furtive de l’euro avec toujours l’utilisation
de l’euro mais nous verrions le prix des voitures allemandes toujours affichées
en euros mais accompagnées d’une surcote à payer, ce qui reviendrait en fait à
appliquer un taux de change. A l’inverse nos vacances en Italie, en Espagne ou
en Grèce verraient une décote et deviendraient moins chères.
En réalité les différences de pays à
pays pourraient se construire progressivement et habitueraient consommateurs et
producteurs à une pratique qui conduirait à un nouvel équilibre entre les euros
des différents pays. C’est politiquement beaucoup plus jouable, tant le
matraquage sur l’euro a marqué les esprits et, dans la plupart des pays, il s’est
construit peu à peu un véritable attachement à cette monnaie, même si ceci n’est
plus si vrai en Italie, et si les allemands, en passant par 1 euro pour 1 mark,
n’ont pas eu l’impression de changer grand-chose. En France l’affirmation péremptoire
selon laquelle la sortie de l’euro nous mènerait à la catastrophe fait reculer
la plupart des partis politiques parce que dire le contraire est considéré
comme dangereux. Les partis soit finissent par le supprimer de leur programme,
comme le FN récemment, qui lui impute son échec au deuxième tour de la Présidentielle,
soit mettent une sourdine après avoir prêché une monnaie commune, type écu ou
euro, à usage dans les transactions commerciales tout en rétablissant les
monnaies nationales. On reviendrait à une solution déjà utilisée avant l’euro.
C’est le cas par exemple de Debout la France.
Le sujet de la sortie de l’euro est diabolisé
et est devenu tabou même s’il devient implicite lorsque l’on parle de sortie de
l’UE comme le fait le Brexit. La doxa politico-médiatique fait tout-de-suite remarquer
que le Royaume-Uni n’avait pas l’euro mais la livre, ce qui, entre parenthèses,
montre que l’on vit très bien en dehors de l’euro puisque celui-ci ne cesse d’échanger
avec nous la place de cinquième et sixième place dans l’économie mondiale. Mais
il faut aller plus loin et tenir compte de deux éléments majeurs du
fonctionnement monétaire de l’UE. Le premier est le fait que les banques
centrales de chaque pays européen fabriquent et mettent en circulation la
quantité d’euros qui leur est nécessaire, le second est que toutes les
transactions entre les pays passent de banque centrale à banque centrale par un
système Target2, sorte de chambre de compensation où l’euro, émis par la banque
centrale du pays A et donné en règlement d’une dette, est transféré en un euro
du compte Target2 de la banque centrale du pays B. Cette dernière transfert ce règlement
vers la banque privée du créancier destinataire, donc se dessaisit d’une somme
en euros.
L’Allemagne est la première puissance
économique européenne et le solde positif annuel de son commerce extérieur est
de l’ordre de 250 milliards d’euros. Le flux d’argent en direction de l’Allemagne
est très supérieur à celui qui en sort. La Bundesbank, banque centrale
allemande, voit donc grossir ses créances dans le Targert2 en compensation de l’argent
qu’elle transfert vers les banques privées allemandes et ceci beaucoup plus que
ne le font les banques centrales des autres pays vers leurs banques privées. Au
niveau de Target2 les créances s’accumulent pour la Bundesbank et les dettes
pour les pays pauvres comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce, etc. En
conséquence la Bundesbank voit s’accroître ses créances mais ne peut disposer de
cet argent et fait sortir de plus en plus d’euros de sa trésorerie. Le montant
de ses créances vient de dépasser les 900 milliards. Pour donner un ordre de
grandeur, je rappellerai que le bilan total de la Bundesbank au début de l’euro
n’était que de 250 milliards d’euros, et vers 2005, de 300 milliards. Fin 2017
le solde négatif de l’Italie avoisine les -450 milliards d’euros et celui de
l’Espagne les -400 milliards. (La France étant à peu près à l’équilibre)
Si les débiteurs finissent par régler
leurs dettes à Target2, tout va bien, la Bundesbank récupère les euros qu’elle
a versés pour les créanciers allemands. Mais il apparaît de plus en plus que
des pays comme la Grèce et l’Italie, fortement endettés dans Target2, seraient incapables
de rembourser celles-ci. La Bundesbank a donc de plus en plus l’impression de soutenir
les pays faibles sans espoir de retour. C’est comme si un peintre français vendait
des toiles à l’étranger et que ses clients le paient en versant la somme due
sur son assurance-vie à rendement nul avec le risque que ses héritiers assistent
à la faillite de l’assureur ou de la banque avant la mort du peintre. Le peintre
ne vivrait que des toiles vendues en France, et ses héritiers risqueraient de
ne rien toucher de l’héritage.
La Bundesbank supporte de moins en
moins cette situation. C’est pourquoi l’idée, de prouver que l’on est en mesure
de rembourser ses dettes pour pouvoir s’endetter dans Target 2, fait son chemin.
On parle de nantissement, une sorte d’hypothèque, garantissant sa solvabilité.
La Bundesbank constate que, mis à part une flambée entre 2008 et 2013, la
progression de sa créance sur Target2 est continue et atteint des sommes qui
risquent de la mettre en danger en particulier en cas d’éclatement de l’UE ou
de la zone euro. Son poids à la BCE est considérable et pour sortir de cet
impasse, elle œuvrera pour qu’une solution soit trouvée pour sortir de cette
impasse.
La solution politiquement acceptable
est celle évoquée au début de cet article, une sortie furtive de l’euro. Elle
éviterait la honte de l’annonce de la mort de l’euro. Mais à partir de cette
décision, un euro allemand vaudra plus qu’un euro français, un euro italien et
à fortiori grec. Toutes les transactions dans la zone euro subiront une décote ou
une surcote appliquée au règlement affiché en euros. C’est une façon masquée de
revenir aux monnaies nationales, mais de facto l’euro, monnaie unique, sera
mort. Il restera le nom symbolique d’une expérience monétaire désastreuse qui a
accentué les écarts des économies entre les pays du Sud et du Nord, et fait de
l’Allemagne la première puissance économique européenne distançant chaque jour
un peu plus tous les autres pays. Mais en réalité l’euro-franc ne vaut déjà
plus l’euro-mark, car la France emprunte à un taux supérieur au taux consenti à
l’Allemagne et inférieur au taux pour l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce.
Ceci n’est pas foncièrement différent des surcotes et décotes précédentes. Si l’euro
était vraiment une monnaie unique, aucune différence ne devrait être faite entres
les pays de la zone euro.
Si le syndicat IG metal fait grève
pour une augmentation de salaire de 6% et un passage volontaire de 35 à 28
heures avec compensation salariale partielle pendant deux ans, c’est que l’industrie
métallurgique allemande va au mieux et que les salariés veulent une plus grosse
part du gâteau. Le seul problème posé aux industries métallurgiques allemandes
est de savoir jusqu’où elles peuvent aller en gardant une marge leur assurant
une meilleure compétitivité que leurs concurrents. L’Allemagne ayant la
possibilité de profiter de la main-d’œuvre de pays proches à bas salaires et même
de s’y délocaliser, la marge de manœuvre syndicale n’est pas si large et c’est
sans doute la raison pour laquelle la discussion normale a échoué.
Cette position économique
quasi-hégémonique de l’Allemagne se retournerait donc contre elle dans sa
banque centrale si elle laisse grossir sans limite sa créance dans Target2. Le
moment, où elle va faire pression pour trouver une solution plus conforme aux différences
économiques entre les pays de la zone euro, s’approche très vite. Elle signera
de facto la mort de l’euro monnaie unique. Comme le dit très justement, Vincent Brousseau économiste de l’UPR : « L’euro
est donc condamné, indépendamment de la rhétorique de nos politiciens. Il n’y a
plus rien à faire ; sauf une chose : en sortir au plus vite. Car lorsqu’un
immeuble commence à se fissurer et à s’effondrer, seuls les habitants qui ont
la présence d’esprit de déguerpir au plus vite peuvent espérer ne pas périr
sous les décombres. […] L’euro
meurt d’un vice natif de construction : il n’était pas possible d’avoir, à la
fois, une pluralité de banques centrales nanties du privilège d’émettre la
monnaie légale et une union monétaire. Ce qui se produit était prévisible (et
fut d’ailleurs prévu par certains, que l’on n’écouta pas alors). »
Les utopies finissent toujours par se fracasser sur le mur de la réalité.
Malheureusement l’enfumage politico-médiatique des peuples
Ne leur permet pas d’en prendre réellement conscience,
Mais sa prise en compte se fera bien à leur dépens
Qu’ils le veuillent ou non, et non aux dépens
De ceux qui l’ont enfanté et nourri !
Claude Trouvé
09/01/18
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire