Un sondage d'opinion conduit par l'institut d'Allensbach en janvier 2011 a publié que plus de 50% d'Allemands n'ont plus aucune foi dans l'Europe, et 70% d'entre eux ne voient pas l'Europe comme futur de l'Allemagne !
En 2002 40% des Allemands voyaient l’Europe comme l’avenir de leur pays. Comme chez nous la question de la garantie de paix s’est estompée, le mur de Berlin est tombé il y a vingt ans et une nouvelle génération est apparue. Contrairement à leurs aînés déçus, les jeunes ne regrettent pas totalement l’idée de l’Europe mais ne souhaitent pas y voir disparaître leur pays. Ils sont plus proches d’une Europe économique et de communauté d’intérêts que de « l’économie sociale de marché » explicitement définie comme but dans le Traité de Lisbonne. Après beaucoup d'années au cœur du projet européen, l’Allemagne semble avoir perdu de l'intérêt pour elle.
Elle offre des volets assez contrastés car les élections européennes ont le plus bas taux d’abstention de toutes les élections de ce pays. Par contre la supériorité de cette Europe, autrefois assumée dans la politique étrangère allemande, a disparu et elle ne s’intègre plus dans celle-ci comme « raison d’état ». Le regard a changé, est devenu pragmatique et calcule sans honte le coût de son intégration dans l’édifice européen. L’idée maîtresse, enchâssée dans le Traité de Maastricht, « Une Europe toujours unie plus étroitement » a disparu.
Cette évolution n’échappe pas aux autres pays européens et des sentiments divers, allant de la simple irritation à un véritable souci, se développent. Un des sommets de cette évolution s’est manifesté en 2010 et se réitère en 2011 à propos de l’aide à la Grèce où l’Allemagne traîne manifestement les pieds. Jusqu’alors Berlin se considérait comme le maître-à-penser économique du continent, s’attirant d’ailleurs de sévères critiques de certains autres pays. Mais ce recul touche aussi la politique étrangère à propos de la guerre récente de Libye où Berlin s’est clairement désolidarisé de ses Alliés européens (et même Outre-Atlantique). Cette manifestation d’indépendance s’est aussi manifestée dans son choix unilatéral d’abandon de l’énergie nucléaire et ce sans concertation avec ses partenaires.
L’Allemagne intensifie son rapprochement avec les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) et mène dans ce domaine sa propre politique, essentiellement à base économique. Contrairement à la France, dont les capacités ne sont d'ailleurs pas à la hauteur de ses ambitions en matière de géopolitique, l’Allemagne n’a pas de vision bien définie mais sa puissance l’incite à suivre une politique opportuniste. Son intégration dans une Europe où ses possibilités de décisions propres seraient jugulées lui paraît de moins en moins souhaitable.
La déficience de plusieurs pays du sud de l’Europe lui fait craindre, en particulier à son opinion publique, des sommes d’un niveau tel qu’elles mettraient en danger sa propre économie. Le peuple allemand vit dans une politique de restrictions des coûts salariaux qui entraînent encore beaucoup de sacrifices de leur part, même si les écarts de revenus augmentent. Une partie importante de la population vit moins bien qu’en France. Les sacrifices énormes que ce pays a fait lors de la réunification ont laissé des traces. Après tous ces efforts ils ne veulent plus payer pour les autres.
L’historien britannique Niall Ferguson a récemment résumé un sentiment très répandu quand il a écrit, « A l’ avenir, des personnes diront que c'était l'Allemagne qui a tué l'Europe. »
L’Allemagne a une vision est-ouest beaucoup plus que nord-sud comme la France. Son lien avec les USA reste fort, elle a accepté à ce titre de faire partie de l’OTAN, mais elle se lie économiquement de plus en plus avec la Russie dont provient la majeure partie de son approvisionnement en gaz. La politique française orientée vers la Méditerranée pourrait être complémentaire mais le consensus n’existe pas. Ces deux pays que l’histoire condamne à vivre ensemble n’ont que des liens de façade. La crise, la nécessité pour la France de coller à la politique budgétaire de Berlin pour conserver son statut de pays sûr créent des moments de connivence pragmatique mais guère au-delà.
L’Allemagne est devenue autiste. Elle est tournée vers son propre intérêt. Elle a pris la précaution de mettre dans sa constitution que le droit européen ne prévaudrait pas sur le droit allemand. L’Europe ne lui paraît supportable que dans son attrait économique. Cela peut mener à une désintégration de l’Europe qui peut se retourner contre l’Allemagne elle-même.
Il va devenir indispensable de mener avec elle une politique de dissuasion. Ce qui est bon pour l’Allemagne ne l’est pas forcément pour les autres. Les critères de rigueur budgétaire ne sont pas applicables à un pays sans tenir compte de son économie propre. La Grèce peut en mourir et la France mal le supporter à dose trop forte ou à un rythme trop rapide. L’intérêt de Berlin n’est pas d’asphyxier les pays voisins par des échanges commerciaux déséquilibrés en partie à cause d'une politique salariale trop différente.
Plus que tout autre l’Allemagne est sensible au « déficit démocratique » de l’Europe. Les Allemands n’ont jamais été autant eurosceptiques qu’aujourd’hui. A tort ou à raison la plupart d’entre eux rejettent l’euro qui n’a pas montré son efficacité par rapport au mark. La chancelière suit de très près l’évolution de l’opinion qui lui sert de guide politique. Berlin supporte de plus en plus mal la pression de Bruxelles comme sa population.
Dans cette ambiance de crise économique, on va déjà de plus en plus vers le « chacun pour soi », l’Europe se détricote. Il est temps que le couple Franco-allemand se souvienne qu’il est issu de la même histoire, et que si l’Europe meurt c’est avec lui d’abord qu’il s’en reconstruira une autre.
Dans le couple Franco-allemand,
les deux sœurs sont jumelles hétérozygotes
mais jumelles avant tout !
Claude Trouvé