Le
Président de la République se targue d’une remarquable gestion sanitaire et socio-économique
de l’épidémie COVID-19, je montrerai qu’il n’en est rien. Toutefois il y a entre
les pays proches de nous des différences énormes sur la gestion de l’épidémie
tant sur le plan sanitaire que sur le plan socio-économique. Nous allons
examiner les cas les plus significatifs des couples de pays frontaliers. Le
graphique ci-contre représentent les évolutions comparatives par jour des décès/million
d’habitants de 4 couples de pays voisins : Belgique-France, Espagne-Portugal,
Royaume-Uni-Irlande, France-Allemagne. S’y ajoutent, d’une part le constat finalement
identique d’évolution des décès entre l’Italie et la Suède, mais avec des stratégies
opposées, et d’autre part la divergence d’évolution des décès après le 41ème
jour entre l’Italie et la France. Les deux pays Belgique-Pays-Bas ont mis en
place des stratégies les plus différentes de gestion sanitaire de l’épidémie
des 4 couples examinés.
Belgique
et Pays-Bas
La Belgique a suivi
en gros la politique de gestion de crise de la France mais d’une façon moins
stricte sur la durée du confinement, les déplacements autorisés sans
justification écrite, et sur la pratique du sport. Mais elle s’est trouvée en
pleine crise gouvernementale lorsque le virus est apparu sur son territoire.
Pour répondre à la crise sanitaire, les principales forces politiques se sont
accordées sur la formation d’un gouvernement minoritaire pour une période de
six mois dès le 17 mars. Handicap supplémentaire, les tensions et conflits
entre les Flamands et les Wallons ont été particulièrement fortes lors des
discussions concernant le plan de déconfinement. Contrairement à la France,
elle n’a pas manqué de lits d’hôpitaux, ni de respirateurs, mais a fait face à
une pénurie de matériel de protection, notamment de masques, de gants et les
blouses, et à une pénurie structurelle de professionnels de la santé. Prise de
cours pour disposer des moyens de tests, la Belgique a rapidement concentré ses
efforts sur l’acquisition et la mise en œuvre de tests, ainsi que sur le
traçage des personnes infectées en particulier lors de la période de déconfinement
commencée dès le 4 mai et montée en puissance jusqu’au 8 juin. La mise en place
d’un vaste plan de dépistage et la théorie des "bulles sociales",
afin de tracer les contacts, font partie de la stratégie belge. Le confinement n’a
été imposé que du 18 mars au 18 avril mais le port du masque a été rendu
obligatoire dans les transports en commun dès le 4 mai. Dès le 10 avril 2020,
face à la mortalité importante enregistrée dans les maisons de repos, débuta un
test systématique tant du personnel que des résidents.
Malgré
une politique de santé moins stricte qu’en France mais un dépistage massif, la Belgique
est championne du monde des décès/habitants avec un bilan de 0,086% au lieu de
0,045% en France. Les Belges ont cependant fait une comptabilisation plus
large des décès dans les maisons de retraite. Tous les résidents suspectés d’y être
décédés du Coronavirus ont été comptabilisés comme victimes de l’épidémie, même
lorsqu’ils n’ont pu être testés et le taux de létalité (décès/cas) est élevé avec
15,2%, pour 13,8% en France et de 4,1% dans le monde. Compte-tenu d’une surestimation
probable dans les maisons de retraite, on peut dire que ce taux est proche du taux
de létalité français, donc une performance hospitalière très voisine. Il n’en
reste pas moins vrai que la Belgique a concédé le plus lourd tribut au
coronavirus et que dès le 1er trimestre sa croissance du PIB est
affectée à -3,6% contre -3,2% en moyenne dans l’UE. Elle espère maintenir à -6,4%
la perte de croissance avec un déficit public supplémentaire de 40 milliards
soit 10% de son PIB. Cet objectif paraît trop optimiste au vu du 1er
trimestre et de plus la dette belge avec 110% passe la barre des 100% du PIB
dès 2020.
Avec
les Pays-Bas on est dans une stratégie extrêmement différente dite du « confinement
intelligent » et de « l’immunité collective »
basée sur le confinement des personnes à risques et présentant des symptômes,
la distanciation physique à 1,5m, le port du masque obligatoire seulement dans
les transports collectifs publics et privés et la distanciation sociale à l’extérieur
ainsi que dans les magasins, la fermeture des bars, restaurants, et des professions
à contact (coiffeurs, esthéticiens), l’interdiction des rassemblements de plus
de 100 personnes (du 12 mars au 1er juin), la fermeture des écoles
(15 mars), et l’incitation au télétravail. Pendant le confinement, dans le
respect de ces contraintes, la libre circulation à l’intérieur et à l’extérieur
du pays est autorisée mais la population est invitée à limiter la circulation à
l’indispensable de vie, à l’aération physique et au sport. Tous les espaces
publics, des parcs aux plages, sont restés accessibles. La frontière avec la Belgique
n’est pas fermée même si celle-ci l’a maintenue fermée. Celle avec l’Allemagne ne
l’est pas non plus et la circulation se fait dans les deux sens.
Le
déconfinement a commencé par la réouverture progressive des écoles (à partir du
11 mai) et des collèges/lycées (à partir du 2 juin), l’ouverture de tous les
commerces et lieux publics dès le 11 mai, puis celle des bars, restaurants et
cafés le 1er juin, et des campings le 1er juillet.
Remarquons aussi que si la population a été fermement invitée à rester chez
elle, à ne pas sortir par groupe de plus de deux personnes, et si la police a
été autorisée à verbaliser les contrevenants, elle a aussi été invitée à
pratiquer une attitude de persuasion plus qu’autoritarisme. Le rebond du
déconfinement, qui se fait légèrement sentir dans le nombre de nouveaux cas par
jour, ne se fait que très légèrement sentir au niveau des décès.
Avec
un PIB/habitant néerlandais parmi les plus élevés de l’UE et de 20% supérieur à
la France, une vocation exportatrice prononcée, une densité élevée de
population, et confrontés à une pénurie de masques, de
tests, de lits de réanimation et de respirateurs, ceci dans une économie très
tournée vers les services, les Pays-Bas présentaient un facteur de risque
sanitaire et socio-économique élevé. Mais sur le plan sanitaire avec un
taux de mortalité de 0,036%, 25% moins élevé que la France et 42% de moins que
la Belgique, les Pays-Bas ont intelligemment tiré leur épingle du jeu. Toutefois
seuls les décès à l’hôpital ont été pris en compte contrairement à la Belgique et
le bilan sanitaire n’est sans doute pas aussi bon que les chiffres le laissent
paraître. Néanmoins on ne peut nier que la contagion a été moindre avec 42% de
cas de moins que la Belgique et 7% de moins que la France.
L’aspect socio-économique
a été aussitôt traité avec une couverture jusqu’à 90 % des salaires par le
recours au chômage partiel et un soutien sans limite ("whatever it
takes") par des mesures fiscales et des garanties bancaires massives à une
économie exportatrice particulièrement exposée à l’effondrement des échanges
internationaux, une économie où de puissantes multinationales (Shell, Unilever,
Philips, Akzo Nobel) côtoient une myriade de micro-entreprises, menacées
subitement d’asphyxie. Au 1er trimestre 2020 ils ont limité la perte
de croissance à -2% soit bien en-dessous des moyennes de l’UE à 3,1% et de la
zone euro à 3,6%. L’objectif annuel de -6,8% de croissance n’est pas irréaliste
et la dette est espérée au pire à 74% du PIB. Avec un chômage à 2,9% en 2019 et
un taux d’emprunt aujourd’hui de -0,62% à 10 ans, taux inférieur à celui de la France
à -0,26%, les Pays-Bas vont présenter d’excellentes conditions de rebond économique.
En
résumé les Pays-Bas ont mis en œuvre une stratégie payante basée sur trois
objectifs :
- Éviter la thrombose économique menaçant les pays à confinement strict ;
- Rendre le passage moins brutal du confinement au déconfinement ;
- Permettre enfin un retour en arrière plus aisé en cas de reprise de l’épidémie.
La
comparaison entre la Belgique et les Pays-Bas est incontestablement en faveur
de ces derniers. De plus la confiance des hollandais envers leur gouvernement
ne s’est pas affaiblie, alors que la rivalité entre Wallons et Flamands rend la
Belgique empêtrée dans une querelle sans fin. Même si la Belgique peut toujours
emprunter à un taux négatif de -0,27% à 10 ans légèrement inférieur au taux
français, ce pays a un avenir plus proche de la France que de celui des
Pays-Bas.
Conclusion
La
politique autoritaire à la française finalement suivie par la Belgique, avec
pourtant une densité de population inférieure aux Pays-Bas, se révèle être
beaucoup moins performante que celle basée sur l’immunité et la persuasion collectives,
la distanciation physique, dans un esprit de liberté individuelle préservée au
maximum, celle des Pays-Bas. Il apparaît que les Pays-Bas ont trouvé le
meilleur compromis entre les dangers sanitaires, sociaux et économiques
provoqués par l’épidémie COVID-19. Plus fortement immunisés que la Belgique grâce
à une plus grande liberté de circuler, moins impactés par les décès et les
pertes économiques, plus unis derrière un gouvernement stable, les Pays-Bas
font non seulement mieux que leur voisine, mais deviennent un modèle de gestion
d’une épidémie par un virus inconnu. Les articles suivants traiteront des trois
autres couples de pays voisins.
Le
pragmatisme, loin des envolées universelles à la française,
S’avère
d’une redoutable efficacité s’il s’appuie fermement
Sur
une intelligence du pouvoir et une confiance
Du
peuple dans celui-ci et sur un appel
A l’intelligence
collective spontanée.
C’est
le triomphe de la liberté.
Claude
Trouvé
24/07/20