vendredi 24 juillet 2020

Les grandes questions sur la gestion sanitaire de l’épidémie

Le Président de la République se targue d’une remarquable gestion sanitaire et socio-économique de l’épidémie COVID-19, je montrerai qu’il n’en est rien. Toutefois il y a entre les pays proches de nous des différences énormes sur la gestion de l’épidémie tant sur le plan sanitaire que sur le plan socio-économique. Nous allons examiner les cas les plus significatifs des couples de pays frontaliers. Le graphique ci-contre représentent les évolutions comparatives par jour des décès/million d’habitants de 4 couples de pays voisins : Belgique-France, Espagne-Portugal, Royaume-Uni-Irlande, France-Allemagne. S’y ajoutent, d’une part le constat finalement identique d’évolution des décès entre l’Italie et la Suède, mais avec des stratégies opposées, et d’autre part la divergence d’évolution des décès après le 41ème jour entre l’Italie et la France. Les deux pays Belgique-Pays-Bas ont mis en place des stratégies les plus différentes de gestion sanitaire de l’épidémie des 4 couples examinés.
 
Belgique et Pays-Bas 

La Belgique a suivi en gros la politique de gestion de crise de la France mais d’une façon moins stricte sur la durée du confinement, les déplacements autorisés sans justification écrite, et sur la pratique du sport. Mais elle s’est trouvée en pleine crise gouvernementale lorsque le virus est apparu sur son territoire. Pour répondre à la crise sanitaire, les principales forces politiques se sont accordées sur la formation d’un gouvernement minoritaire pour une période de six mois dès le 17 mars. Handicap supplémentaire, les tensions et conflits entre les Flamands et les Wallons ont été particulièrement fortes lors des discussions concernant le plan de déconfinement. Contrairement à la France, elle n’a pas manqué de lits d’hôpitaux, ni de respirateurs, mais a fait face à une pénurie de matériel de protection, notamment de masques, de gants et les blouses, et à une pénurie structurelle de professionnels de la santé. Prise de cours pour disposer des moyens de tests, la Belgique a rapidement concentré ses efforts sur l’acquisition et la mise en œuvre de tests, ainsi que sur le traçage des personnes infectées en particulier lors de la période de déconfinement commencée dès le 4 mai et montée en puissance jusqu’au 8 juin. La mise en place d’un vaste plan de dépistage et la théorie des "bulles sociales", afin de tracer les contacts, font partie de la stratégie belge. Le confinement n’a été imposé que du 18 mars au 18 avril mais le port du masque a été rendu obligatoire dans les transports en commun dès le 4 mai. Dès le 10 avril 2020, face à la mortalité importante enregistrée dans les maisons de repos, débuta un test systématique tant du personnel que des résidents.
 
Malgré une politique de santé moins stricte qu’en France mais un dépistage massif, la Belgique est championne du monde des décès/habitants avec un bilan de 0,086% au lieu de 0,045% en France. Les Belges ont cependant fait une comptabilisation plus large des décès dans les maisons de retraite. Tous les résidents suspectés d’y être décédés du Coronavirus ont été comptabilisés comme victimes de l’épidémie, même lorsqu’ils n’ont pu être testés et le taux de létalité (décès/cas) est élevé avec 15,2%, pour 13,8% en France et de 4,1% dans le monde. Compte-tenu d’une surestimation probable dans les maisons de retraite, on peut dire que ce taux est proche du taux de létalité français, donc une performance hospitalière très voisine. Il n’en reste pas moins vrai que la Belgique a concédé le plus lourd tribut au coronavirus et que dès le 1er trimestre sa croissance du PIB est affectée à -3,6% contre -3,2% en moyenne dans l’UE. Elle espère maintenir à -6,4% la perte de croissance avec un déficit public supplémentaire de 40 milliards soit 10% de son PIB. Cet objectif paraît trop optimiste au vu du 1er trimestre et de plus la dette belge avec 110% passe la barre des 100% du PIB dès 2020.

Avec les Pays-Bas on est dans une stratégie extrêmement différente dite du « confinement intelligent » et de « l’immunité collective » basée sur le confinement des personnes à risques et présentant des symptômes, la distanciation physique à 1,5m, le port du masque obligatoire seulement dans les transports collectifs publics et privés et la distanciation sociale à l’extérieur ainsi que dans les magasins, la fermeture des bars, restaurants, et des professions à contact (coiffeurs, esthéticiens), l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes (du 12 mars au 1er juin), la fermeture des écoles (15 mars), et l’incitation au télétravail. Pendant le confinement, dans le respect de ces contraintes, la libre circulation à l’intérieur et à l’extérieur du pays est autorisée mais la population est invitée à limiter la circulation à l’indispensable de vie, à l’aération physique et au sport. Tous les espaces publics, des parcs aux plages, sont restés accessibles. La frontière avec la Belgique n’est pas fermée même si celle-ci l’a maintenue fermée. Celle avec l’Allemagne ne l’est pas non plus et la circulation se fait dans les deux sens.

Le déconfinement a commencé par la réouverture progressive des écoles (à partir du 11 mai) et des collèges/lycées (à partir du 2 juin), l’ouverture de tous les commerces et lieux publics dès le 11 mai, puis celle des bars, restaurants et cafés le 1er juin, et des campings le 1er juillet. Remarquons aussi que si la population a été fermement invitée à rester chez elle, à ne pas sortir par groupe de plus de deux personnes, et si la police a été autorisée à verbaliser les contrevenants, elle a aussi été invitée à pratiquer une attitude de persuasion plus qu’autoritarisme. Le rebond du déconfinement, qui se fait légèrement sentir dans le nombre de nouveaux cas par jour, ne se fait que très légèrement sentir au niveau des décès.

Avec un PIB/habitant néerlandais parmi les plus élevés de l’UE et de 20% supérieur à la France, une vocation exportatrice prononcée, une densité élevée de population, et confrontés à une pénurie de masques, de tests, de lits de réanimation et de respirateurs, ceci dans une économie très tournée vers les services, les Pays-Bas présentaient un facteur de risque sanitaire et socio-économique élevé. Mais sur le plan sanitaire avec un taux de mortalité de 0,036%, 25% moins élevé que la France et 42% de moins que la Belgique, les Pays-Bas ont intelligemment tiré leur épingle du jeu. Toutefois seuls les décès à l’hôpital ont été pris en compte contrairement à la Belgique et le bilan sanitaire n’est sans doute pas aussi bon que les chiffres le laissent paraître. Néanmoins on ne peut nier que la contagion a été moindre avec 42% de cas de moins que la Belgique et 7% de moins que la France.

L’aspect socio-économique a été aussitôt traité avec une couverture jusqu’à 90 % des salaires par le recours au chômage partiel et un soutien sans limite ("whatever it takes") par des mesures fiscales et des garanties bancaires massives à une économie exportatrice particulièrement exposée à l’effondrement des échanges internationaux, une économie où de puissantes multinationales (Shell, Unilever, Philips, Akzo Nobel) côtoient une myriade de micro-entreprises, menacées subitement d’asphyxie. Au 1er trimestre 2020 ils ont limité la perte de croissance à -2% soit bien en-dessous des moyennes de l’UE à 3,1% et de la zone euro à 3,6%. L’objectif annuel de -6,8% de croissance n’est pas irréaliste et la dette est espérée au pire à 74% du PIB. Avec un chômage à 2,9% en 2019 et un taux d’emprunt aujourd’hui de -0,62% à 10 ans, taux inférieur à celui de la France à -0,26%, les Pays-Bas vont présenter d’excellentes conditions de rebond économique.
En résumé les Pays-Bas ont mis en œuvre une stratégie payante basée sur trois objectifs :
  1. Éviter la thrombose économique menaçant les pays à confinement strict ;
  2. Rendre le passage moins brutal du confinement au déconfinement ;
  3. Permettre enfin un retour en arrière plus aisé en cas de reprise de l’épidémie.
La comparaison entre la Belgique et les Pays-Bas est incontestablement en faveur de ces derniers. De plus la confiance des hollandais envers leur gouvernement ne s’est pas affaiblie, alors que la rivalité entre Wallons et Flamands rend la Belgique empêtrée dans une querelle sans fin. Même si la Belgique peut toujours emprunter à un taux négatif de -0,27% à 10 ans légèrement inférieur au taux français, ce pays a un avenir plus proche de la France que de celui des Pays-Bas.

Conclusion

La politique autoritaire à la française finalement suivie par la Belgique, avec pourtant une densité de population inférieure aux Pays-Bas, se révèle être beaucoup moins performante que celle basée sur l’immunité et la persuasion collectives, la distanciation physique, dans un esprit de liberté individuelle préservée au maximum, celle des Pays-Bas. Il apparaît que les Pays-Bas ont trouvé le meilleur compromis entre les dangers sanitaires, sociaux et économiques provoqués par l’épidémie COVID-19. Plus fortement immunisés que la Belgique grâce à une plus grande liberté de circuler, moins impactés par les décès et les pertes économiques, plus unis derrière un gouvernement stable, les Pays-Bas font non seulement mieux que leur voisine, mais deviennent un modèle de gestion d’une épidémie par un virus inconnu. Les articles suivants traiteront des trois autres couples de pays voisins.

Le pragmatisme, loin des envolées universelles à la française, 

S’avère d’une redoutable efficacité s’il s’appuie fermement 

Sur une intelligence du pouvoir et une confiance 

Du peuple dans celui-ci et sur un appel 

A l’intelligence collective spontanée. 

C’est le triomphe de la liberté.
 
Claude Trouvé
24/07/20