La France observe un silence
poli sur la nomination de Boris Johnson au poste de Premier Ministre par la
Reine d’Angleterre. Un télégramme a suffi à Macron pour féliciter le nouveau
Président de la deuxième puissance européenne. Il faut dire que Macron a misé
longtemps sur le fait que le départ serait reporté (sine die). Les Présidents
du Conseil Européen et de la Commission Européenne n’en faisaient pas mystère.
La position ferme de non-négociation devait dissuader Theresa May de déclencher
un Brexit dur le 31 octobre. Les élections législatives britanniques ont changé
la donne. Il est apparu que la perspective d’un deuxième référendum sur la
sortie, longtemps évoquée dans les milieux conservateurs et dans l’UE, devenait
injouable vu les résultats de ces élections. Le parti du Brexit a remporté à
lui seul plus du tiers des voix, et le parti conservateur a fini cinquième avec
9% des voix. Le peuple a signifié qu’il était toujours partisan du Brexit et
qu’il rendait le parti conservateur au pouvoir comme le grand responsable d’un
atermoiement incompréhensible pour lui. Les médias et les partis politiques
français n’avaient pourtant cessé de nous expliquer que le peuple britannique
avait compris que la sortie était une mauvaise perspective et qu’une
catastrophe allait s’abattre sur le Royaume en cas de sortie sans accord.
Le battage médiatique
français continue et Macron campe sur une position dure et jupitérienne. Il se
veut le porte-drapeau d’une UE conquérante, rassemblée et à vocation de puissance
ce qui n’est pas dans les fondements des Traités. L’Union est encore bâtie sur
une coopération liée étroitement au commerce mondial, la défense du territoire
européen est confiée à l’OTAN. Même si l’UE s’est préparée à une sortie du
Royaume-Uni, la France a toujours pensé faire payer le prix fort aux
Britanniques et l’Allemagne qui voulait surtout privilégier ses exportations,
automobiles en particulier, vers le Royaume-Uni, s’est montrée plus
accommodante. L’UE voulait un Brexit sans véritable sortie où les règles
commerciales étaient inchangées et où la justice européenne régnait en cas de
conflit. Boris Johnson envoie à la poubelle de l’histoire le laborieux projet
d’accord concocté avec Theresa May. Désormais on ne voit pas bien comment Boris
Johnson pourrait renégocier un accord dans lequel l’UE prétend ne pas vouloir
changer une virgule. Mis à part des modalités à préciser pour la frontière
entre l’Irlande du Sud et du Nord, les mois de septembre et d’octobre ne laissent
pas la place à un accord rebâti de fond en comble. Sauf évènement imprévisible,
le Royaume-Uni sera hors de l’UE le 1er novembre 2019 et ce sera une
date historique.
Dès à présent ce n’est plus
l’UE qui est en position de force capable d’imposer ses conditions, car en
termes économiques c’est elle qui a beaucoup plus à perdre. Le commerce
extérieur britannique est très déficitaire dans ses échanges avec l’UE et il
est déjà en train de se réorienter vers d’autres fournisseurs en s’ouvrant de
nouveau sur la Commonwealth, les Etats-Unis, la Chine et l’Inde selon son passé
historique. De plus Boris Johnson s’entoure d’un cabinet de
« Brexiteurs » et ne cache pas qu’il détient un argument de poids
dans les discussions avec l’UE. David Cameron avait signé un accord budgétaire
avec l’UE engageant son pays à verser une participation financière annuelle
jusqu’en 2022 pour une somme totale de l’ordre d’une quarantaine de milliards
d’euros. Dans la mesure où le Royaume-Uni quitte l’UE, cette participation n’a
plus lieu d’être. En cas de conflit juridique avec l’UE, Boris Johnson peut
invoquer qu’il ne reconnait plus cette justice. Même si la somme est partagée
en deux, cela reste un trou énorme dans le budget européen, trou que les pays
contributeurs, dont la France en deuxième rang derrière l’Allemagne, devront
combler. Contrairement à ce que laisse accroire le gouvernement français et les
médias aux ordres, il y a désormais une certitude : si le Royaume-Uni sort
sans accord, la France sera une grande perdante, car elle a en plus un commerce
extérieur excédentaire avec le Royaume-Uni.
Dans la jeune histoire de
l’UE, il y aura un avant et un après Brexit. Rien ne sera plus comme avant. La
France et l’Allemagne vont se retrouver face à face. Dans la prééminence, qui
se joue déjà entre eux, sur les pays de l’UE, il y en aura un de trop. Le
tripartisme Allemagne-France-Royaume-Uni sera clos. Seule l’OTAN fera le lien
entre les pays européens. Mais si le Brexit devient possible, si l’UE ne peut
plus retenir les candidats à la sortie, et si de surcroît le sortant ne montre
pas une évolution catastrophique hors de l’UE, alors de nouveaux candidats vont
apparaître. Pour le moins les exigences de souveraineté seront plus nombreuses
et plus affirmées. S’ajoutera à cela les mouvements indépendantistes régionaux
que l’UE soutient pour amorcer un détricotage de l’ensemble européen où leurs
voix seront de plus en plus assourdissantes. Le cas de l’Italie peut sonner la
mort de l’UE, car c’est dans ce pays que le peuple est le plus sceptique sur
l’UE et l’euro. Son gouvernement fait pression pour mener sa propre politique
et l’UE a déjà dû lâcher du lest en acceptant un déficit budgétaire plus élevé.
La volonté de créer une monnaie intérieure en plus de l’euro ne fait plus
mystère. Si ce système de troc avec le Trésor Public devient monnaie nationale,
alors l’Italie se détachera de l’euro et ira vers l’indépendance complète.
Un autre clivage va alors
jeter le trouble dans les relations avec l’UE, c’est l’arrimage à l’OTAN où
deux pays anglosaxons, Etats-Unis et Royaume-Uni, seront dans l’OTAN mais hors
de l’UE. La volonté de créer une défense européenne, qui n’a d’intérêt que si
elle a une indépendance, n’a pas de sens si elle est sous tutelle de l’OTAN.
Mais la pression anglo-saxonne s’exercera pour pousser celle-ci vers les
frontières de l’est européen en exerçant un clivage de plus en plus net entre
l’ouest et l’est de l’UE où le groupe Visegrad affiche une volonté d’autonomie
de plus en plus nette. La Pologne achète ses avions aux Etats-Unis et l’intérêt
de l’UE pour elle c’est les 10 milliards d’aide mais plus encore le lien avec
les Etats-Unis contre la Russie. Au fur et à mesure que l’économie polonaise
continuera à redresser le pays, l’intérêt de l’UE s’amenuisera devant celui de
l’OTAN. Désormais des forces aux intérêts de plus en plus divergents vont
s’exercer sur l’UE avec un trio Allemagne-France-pays anglosaxons. Le poids Etats-Unis-Royaume-Uni
va rendre illusoire la volonté de création d’une défense européenne ayant une
autonomie suffisante pour avoir ses propres objectifs.
Le couple
franco-allemand va se dissoudre dans une volonté réciproque d’hégémonie qui va
opposer une Allemagne puissante à une France en perte de vitesse. L’enfumage
par le verbe de Macron ne peut pas prendre dans une UE où l’Allemagne a tissé
des liens privilégiés avec tous ses voisins au sud, à l’est et au nord.La France, où notre peuple
ne veut pas abandonner ses illusions d’une UE fraternelle, tournée vers la paix
et l’évolution sociale, ni l’euro qui en est le symbole et ayant vertu de
protection, sera la principale victime du Brexit car elle n’est pas préparée au
risque de l’indépendance. C’est elle qui va payer la perte de financement du
budget européen due à la sortie d’un pays contributeur, et cela sans que son
commerce extérieur ne retrouve l’équilibre. Pour le Royaume-Uni les vins
australiens ou californiens concurrenceront mieux les nôtres. Le poids de
l’Allemagne dans l’UE et l’importance pour elle de sa production automobile
vendue au Royaume-Uni fera que celle-ci imposera à l’UE l’acceptation d’une
exception d’un accord bilatéral Allemagne-Royaume-Uni sur ce point. Il n’est
pas du tout sûr que nous trouvions un accord satisfaisant pour nos pêcheurs
dans les eaux britanniques. Deuxième contributrice au budget européen, lancée
dans une dispendieuse transition énergétique pour des raisons idéologiques sans
espoir de changer quoi que ce soit dans la carbonisation du monde, pratiquant
une politique d’austérité contraire à la relance économique, lourdement
handicapée par un euro trop cher, très déficitaire dans son commerce extérieur
particulièrement avec l’Allemagne, la France va entrer dans une phase
mortifère. Si l’Italie sort, la France devra assumer avec l’Allemagne une
situation financière catastrophique pour le budget européen. Le Brexit est le
prélude à la mort programmée de l’UE par explosion ou par lente déliquescence.
La situation financière des banques européennes est la pire dans le monde et
une UE en conflit ne fera que créer une situation catastrophique pour tous les
pays restants de l’UE.
La France sera plus
gravement touchée car, après la Grèce, elle est le pays aux perspectives les
moins souriantes. A titre d’illustration le graphique ci-contre montre les
dernières valeurs partielles de la croissance en volume (hors inflation) publiées
par Eurostat pour le 2ème trimestre 2019. En jaune est représentée
une année glissante du 1er juillet 2018 au 20 juin 2019. On note la
faiblesse de la croissance de la zone euro, d’ailleurs la France a fait un peu
mieux mais moins bien que les 28 pays de l’UE. On note que la disparition du Royaume-Uni
laisse la croissance inchangée. La Lituanie montre une fois de plus que l’UE profite
aux pays bénéficiaires de la contribution des pays donateurs sans que le résultat
global soit bon puisque la croissance de l’UE est la plus faible des grands
ensembles économiques. En gris est représenté le 1er semestre 2019 et
cette fois la France offre le moins bon résultat même si elle réalise un deuxième
trimestre (en rouge) très légèrement supérieur à la zone euro. Ceci laisse d’ailleurs
surtout présager une croissance allemande au deuxième trimestre inférieure à
celle de la zone euro, ce qui va entraîner un ralentissement général de la
croissance pour le semestre à venir. Les objectifs de croissance sont à la
baisse et la France se dirige au mieux vers une croissance de 1,2% en volume ce
qui est notoirement insuffisant pour espérer juguler le chômage. Les pays
contributeurs du budget européen ont visiblement de plus en plus de mal à
promouvoir l’ensemble de l’UE, et la zone euro voit baisser sa croissance. Le
Brexit ne peut qu’empirer les choses en perdant un grand pays contributeur.
La France
ne veut pas prendre en compte le Brexit
Elle
laisse croire que le Royaume-Uni est perdant.
Elle
masque notre période difficile qui suivra
Avec
le poids budgétaire en surplus
Et
le risque d’un éclatement
D’une
Union fragilisée.
Enfumage
encore !
Claude Trouvé
01/08/19
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