samedi 14 septembre 2019

Qui va profiter de la réforme des retraites ?


Le projet de réforme des retraites est présenté aux instances syndicales pour consultation (approbation) après deux ans et demi de palabres. Il ne résulte pas d’une demande des citoyens si l’on met à part une certaine jalousie des régimes ordinaires par rapport aux régimes spéciaux, jalousie camouflée sous le vocable « inégalité de ressources ». Cette attitude est d’ailleurs étrange sauf dans le cas où les retraites ordinaires sont considérées comme insuffisantes par les retraités, ce qui est bien le cas pour une partie d’entre eux. En réalité ce qui est sûr c’est qu’elles ont diminué sous l’effet de son découplage avec l’inflation et de l’augmentation de la CSG au profit des actifs. C’est cela qui ranime le sentiment d’inégalité des régimes. Mais la motivation du gouvernement est tout autre, c’est l’insistante « recommandation » de Bruxelles pour la diminution du poids des dépenses sociales et en particulier de retraite. C’est le graphique donnant l’évolution des dépenses/PIB qui sert d’argument à Bruxelles dans sa politique d’austérité à l’allemande. Les dépenses de l’Allemagne sont les plus faibles des dépenses des pays voisins de la France en 2015 et sont passées de 9% à 14% du PIB en ce qui nous concerne, même si elles n’évoluent plus depuis 2013. Le ton est donné par l’Allemagne dont les dépenses se sont stabilisées à hauteur de 10%. Vu du côté des retraités, ceux-ci vont plus ou moins compléter leurs retraites par des assurances retraites privées. Si ceci ne représente que 0,4% en 2013 pour la France et l’Espagne, 0,3% pour l’Italie, 0,2%/PIB pour l’Allemagne, elles représentent plus de 3% au Royaume-Uni et près de 5% en Suisse.
 
Indéniablement avec 14%/PIB la France dépense plus que l’Allemagne à 10%. Il ne faut donc pas aller chercher ailleurs la raison de la grande réforme des retraites. Elle est le résultat de la pression de Bruxelles et des recommandations-injonctions sous peine de pénalité visant à diminuer la dépense publique globale des retraites. L’argument de la mise à plat uniforme n’est qu’un artifice facile à faire gober à des citoyens épris d’égalité. Une deuxième raison de ce pari risqué, mais devenu obligatoire pour répondre aux contraintes imposées par l’UE, est la retraite par points. L’argument avancé de la simplicité et de la transparence cache mal la raison de la maîtrise de la valeur du point par le gouvernement. Il ne manquera jamais d’arguments plus ou moins trompeurs pour abaisser la valeur du point d’un coup de plume ou de souris sur ses ordinateurs. La perspective d’une récession par exemple peut être utilisée comme raison incontournable. On perçoit bien l’intérêt pour le gouvernement de n’avoir qu’une seule et unique discussion alors que le poids des syndicats est en chute libre. L’uniformisation des retraites ne peut être validée par le gouvernement que si elle met en lumière non seulement un gain immédiat sur les dépenses, gain qu’il aura la possibilité d’amplifier en baissant la valeur du point par rapport à l’inflation comme il le fait pour le taux d’épargne. Le gagnant doit obligatoirement être l’Etat qui cache ses véritables intentions derrière l’argument de l’uniformisation bien gobé par les citoyens. 

Mais pour le retraité ce qui compte c’est la valeur de la pension. Or on sait que le PIB/habitant de l’Allemagne était de 13% plus élevé que celui de la France, ce qui diminue la différence entre les deux pays. Deux autres facteurs entrent dans le calcul à savoir le taux d’activité et le taux d’emploi, autrement dit le nombre de français actifs et le nombre global d’heures travaillées. Dans la comparaison avec nos pays voisins on peut ajouter le poids du pourcentage de retraités par rapport à la population active. L’évolution de la pyramide des âges depuis la mise en place du système social des retraites et du SMIC datant de 1950 est spectaculaire. Les pyramides des âges de 1950 et 2018 montrent l’évolution nette de la répartition de la population par tranche d’âge. En 1950 on voit l’appauvrissement de la tranche des 30-34 ans due à la guerre, le baby-boom des 0-4 ans, et une tranche des plus de 80 ans ne représentant que moins de 0,75% de la population. Cette pyramide est bien assise sur sa base de jeunesse. Depuis la population totale a d’ailleurs augmenté de près de 56% en 68 ans soit au rythme de 0,65%/an. La pyramide des âges de 2018 est à l’inverse sur une base étriquée de jeunesse et prend une forme instable où les plus de 90 ans représentent 0,7% de la population avec 2,5 fois plus de femmes que d’hommes atteignant cet âge. En 68 ans la France a vieilli de 6,3 ans passant d’une moyenne d’âge de 34,7 ans en 1950 à 41,1 ans en 2018 ! L’évolution est rapide au rythme de +0,25% de l’âge moyen par an.
 
On peut résumer la comparaison entre ces deux années par un tableau donnant les trois grandes catégories d’âge en cause dans les recettes et les dépenses publiques. On visualise ainsi le nombre de personnes dans les tranches d’âges dépensières, à savoir les moins de 15 ans et les 65 ans et plus, et dans la tranche des 15-64 ans considérée internationalement comme la tranche des actifs disponibles. On voit que la tranche des plus de 65 ans et plus s’est augmentée de 8,332 millions d’individus, soit +174,5% ou +2,13%an, alors que celle des moins de 15 ans n’a progressé que de 2,361 millions de personnes, soit +24,8% ou +0,46%/an. En 68 ans la tranche d’âge des 65 ans et plus a donc augmenté 4,6 fois plus vite que celle des moins de 15 ans. Dans un avenir à 10 ans, durée restant dans le prévisible probable, la population des 35 ans et plus aura augmenté de +23,4% et celle des 15 ans et moins de 4,7%. La pyramide des âges en 2028 sera donc encore plus déséquilibrée. On peut de plus comparer ces évolutions de population à celle des actifs disponibles de 15-64 ans dont la progression depuis 1950 a été de 12,545 millions d’individus, soit 45,5% ou 5,53%/an. Actuellement en 2018 le nombre d’actifs disponibles de la tranche des 15-64 ans par rapport aux inactifs représentés par les deux autres tranches est donc de 1,61 et celle par rapport à la tranche des retraitables de 3,06. On peut dire qu’en 2018 on avait un peu plus de 1,6 actifs disponibles pour 1 inactif et un plus de 3 pour 1 retraitable. On peut ajouter que le rapport du nombre de « retraitables » par rapport aux jeunes était de 1,10 soit 10% de plus de retraitables pour la même année. 


Alors en quoi la situation de 2018 est-elle différente de celle de la naissance du système social actuel en 1950 ? Elle tient dans deux chiffres. D’une part le rapport des actifs disponibles/retraitables en 1950 était de 5,77 au lieu de 1,61 en 2018. La charge sur les actifs disponibles était 3 fois plus lourde en 2018 qu’en 1950. Ceci ne donne qu’un premier éclairage car les actifs disponibles ont parmi eux des actifs non utilisés à plein temps, des chômeurs et des inactifs volontaires sur le marché du travail. D’autre part le rapport des actifs disponibles/inactifs des deux autres catégories n’est passé que de 1,93 en 1950 à 1,61 en 2018 soit une charge des inactifs répartie sur 17% d’actifs disponibles en moins, ou une diminution du rapport de 0,27% par an depuis 1950 ! On constate que le problème vu sous cet angle plus global de la protection sociale de la jeunesse et des retraités est beaucoup plus gérable. Il en résulte que le problème de la charge financière des retraites ne peut être vu sans une globalisation sur toutes les tranches d’âge. Ce n’est pas ainsi que le gouvernement présente le plan d’uniformisation des retraites. Pourtant c’est bien le but visé de diminution de la charge financière dès 2020 puisqu’il s’agit de raboter les avantages des régimes spéciaux sans augmentation globale des retraites. On a bien affaire à un enfumage de nos concitoyens.

Evidemment le poids des dépenses vieillesse et celles de la famille est différent dans les dépenses totales : 40,16% pour les premières et 7,58% pour les secondes, soit des dépenses vieillesse 5,3 fois plus importantes que pour la famille. Ces chiffres sont à comparer aux dépenses de santé qui représentent 28,68% du total. Ceci fait comprendre deux choses. La première c’est que la perte démographique de jeunes n’est sans doute pas étrangère au faible poids de la dépense afférente. La seconde est que la préoccupation budgétaire est bien située sur les dépenses vieillesse alors que la vieillesse, la santé et la famille représentent 75% des dépenses sociales. En 10 ans la part des dépenses vieillesse est passée de 38,55% à 40,16% du total soit +1,61% ou une augmentation de +0,4%/an. Mais si l’on considère que l’augmentation de population s’est faite sur cette période de 10 ans au rythme de +0,44%/an, on constate donc que la dépense vieillesse/habitant n’a pas évolué depuis 10 ans, et que l’urgence de baisser cette dépense n’existe pas hors les injonctions de Bruxelles. Si l’on regarde les 9 derniers relevés trimestriels, du dernier trimestre 2016 au 1er trimestre 2019, de l’évolution de la population des 15-64 ans, dite population active disponible, cette évolution n’est que de 0,023%/an ! Le plafonnement actuel à 29,3 millions des personnes actives pouvant apporter leur contribution aux dépenses sociales est avant tout un problème démographique ! 

On ne peut évidemment pas arrêter l’analyse des dépenses vieillesse, à partir des données Eurostat, sur ces constats. Mais il est clair que la politique gouvernementale s’attaque à une opération de diminution des prestations sociales avec le plus gros morceau des dépenses vieillesse. Mais il n’y a pas d’urgence de dérive rapide, pas plus que d’une dépense par habitant nettement au-dessus des autres pays. Les Pays-Bas, la Finlande font mieux que nous, sans parler de la Suisse et de la Norvège. Contrairement au slogan cocardier du « Notre système social que tout le monde nous envie » la France a de sérieux concurrents qui la devance dans les prestations sociales vu du côté du citoyen.

L’affirmation par l’UE d’une dépense trop importante et la prise de position de s’attaquer aux retraites qui forment l’essentiel de la dépense ne se justifie que par le rapport avec le PIB et par la comparaison avec les autres pays comme le montre le graphique ci-contre. Ce constat, auquel se réfère le gouvernement, sert de justification à des mesures d’austérité dans un contexte d’uniformité européenne. Il ne prend pas en compte le bien du peuple qui constate que cette dépense n’est pas outrancière par habitant comme le montre le graphique précédent. Toute mesure d’austérité sur la protection sociale ne peut que dégrader l’aide apportée aux citoyens. La réforme des retraites, sous couvert d’uniformité flattant le désir d’égalité cher aux français, n’a pourtant que ce fil directeur de diminution de la protection sociale. 

On ne peut échapper évidemment au problème de financement de cette protection comme l’image la phrase connue « La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a », et à la référence au PIB censée donner une image de la richesse du pays. Même s’il oublie une partie de celle-ci, il reste un indicateur raisonnable. Mais le PIB tient essentiellement aux heures travaillées de la population active utilisée. Il faut donc tenir compte du taux d’activité, donnant le nombre de personnes actives disponibles, et du taux d’emploi qui donne finalement le nombre d’heures travaillées. On peut y ajouter le taux de productivité qui agit finalement sur le PIB lequel est aussi sensible au solde du commerce extérieur. On voit que le problème est complexe et que tout se tient pour créer de la richesse, en particulier la compétitivité et la force de travail. Mais revenons sur la population active disponible car elle est au départ de tout, hors commerce extérieur et encore ce n’est pas si sûr. Il s’agit donc d’un problème démographique au départ du raisonnement. Or les courbes issues d’un rapport de l’INSEE montrent que la France va vers un problème démographique grave de chute des naissances que le gouvernement connaît. Il commence d’ailleurs à vouloir le régler, comme l’Allemagne, par une immigration sur laquelle il tend à fermer les yeux. La pyramide des âges nous a montré que la France vieillit et la population active disponible va diminuer par rapport aux inactifs et particulièrement par rapport à la tranche des 65 ans et plus.

Ceci étant posé, il faut analyser plus en profondeur le problème des heures travaillées, source de richesse, mais on ne peut pas envisager des actions d’austérité sans examiner le problème global de la protection sociale, en particulier sur le duo dépenses vieillesse et famille. Ce sera l’objet du prochain article.

La réformes des retraites vient des injonctions de L’UE. 

L’uniformisation n’est qu’un prétexte à l’austérité,

Au contrôle aisé avec l’introduction des points 

Dans une vue « courtermiste » à répétition

Masquant le problème démographique 

Au cœur de la production de richesse !
 
Claude Trouvé
14/09/19

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire